Interview : Simon Hureau (Angoulême 2013)

Découvrez l'interview de Simon Hureau réalisée lors du festival international de la BD d'Angoulême 2013.

 Propos recueillis par Lauriane et Louison.

  

Vous avez une grosse actualité en ce début 2013 : « Crève saucisse » aux éditions Futuropolis que vous signez en tant que dessinateur aux côtés de Pascal Rabaté et « Le massacre » aux éditions La boîte à bulles en tant qu’auteur complet. Ce sont deux projets que vous avez menés de front ?

Oui. Deux sorties. Mais c’est le bouclage  qui a effectivement été de front, fin d’année 2012.

J’ai dû commencer « Le massacre » il y a au moins quatre ans. Il a longtemps traîné et il y a même eu des moments pendant lesquels je l’ai laissé de côté. Tandis que « Crève saucisse » s’est fait assez vite, dans l’année 2012. Commencé en 2011, on a un peu laissé traîner le scénario avec  Pascal Nous avions aussi d’autres choses à faire. Je m’y suis mis l’an dernier et on l’a bouclé en fin d’année 2012. Il est tout frais. La sortie s’est faite dans la continuité.

 

« Le massacre » est donc un projet que vous avez dépoussiéré ?

Oui, on peut dire ça. Il est venu assez vite au moment où je m’y suis mis et je l’ai laissé reposer. Puis je l’ai proposé à des éditeurs.

Vincent, de la Boîte à bulles, a fini par le prendre. Il appréciait le projet mais pas sous la forme que je lui présentais. Je pense qu’il avait raison. Il m’a aidé à le relire, à retravailler sa mise en scène complexe.

 Je n’arrivais plus à avoir du recul dessus malgré le temps qui s’était écoulé. Quand on finit par tout connaître par cœur, on ne peut plus se sortir du récit pour en penser quelque chose…Je n’arrivais plus à avoir une opinion, il me fallait un regard extérieur et ma mise en scène au début était un peu sèche, un peu brève. Avec Vincent, on l’a retravaillée. On a essayé de remettre du rythme,  du dynamisme et je pense que ça a gagné au final.

 

Sans vouloir tout dévoiler du scénario pour les lecteurs, vous réussissez le pari assez improbable de partir d’une enchère dans une petite salle de province pour finir avec une figure historique qu’on n’attendait pas !

Voilà (rires) ! J’aime bien croiser les genres, les importances de registres aussi, mêler les histoires personnelles totalement  insignifiantes, de la vie courante de tous les jours à la grande Histoire. J’aime bien ces entremêlements de petites et grandes histoires, petits destins dans une histoire plus globale.

 

Mais pourquoi un kouprey ? Il est sorti d’une recherche d’animal exotique qui collerait à l’histoire ?

Non pas du tout. Je suis tombé dessus par hasard en feuilletant  une gazette qui trainait dans l’Hôtel Drouot. Il y avait une page qui parlait d’une vente d’un trophée exceptionnel  de kouprey et expliquait quel animal c’était, pourquoi c’était exceptionnel et ce récit m’a intrigué d’autant que  c’est une espèce cambodgienne et que j’avais déjà fait deux livres sur le Cambodge. C’est un pays qui m’avait marqué et ça me fournissait éventuellement, si je trouvais une idée d’histoire là-dessus, une occasion de resituer un récit dans ce pays-là.

Et puis un jour un copain m’a dit que ce serait bien que je réutilise le personnage du collectionneur des « Hautes œuvres ».

 

 

 

J’ai alors fait le lien entre les deux et d’autres idées sont venues se greffer dessus et ont fini par se fondre en ce scénario du massacre.

 

Sacré patchworck. Est-ce à dire que si on vous donne un objet insolite, trois lignes de description, une destination exotique et un personnage historique, vous en ferez un troisième opus ?

Ou pas. Là, ça s’est bien trouvé mais parfois il y a des idées notées qui ne trouvent pas de lien. Il faut un déclic. Ici, le déclic s’est produit.

Mais dans l’absolu, avec ce concept du collectionneur qui présente un objet insolite qui a croisé la grande Histoire, ça peut fonctionner ! Il me faut juste d’autres idées et…de l’inspiration.

« Le massacre » est peut être le dernier, ou peut être seulement le deuxième. On verra.

 

Limul Goma, votre personnage, n’aurait-il pas un petit air de ressemblance avec une ou plusieurs personnalités connues ?

En fait, pour construire le personnage de Limul Goma, j’ai pris David Lynch, je lui ai mis une barbe et je l’ai habillé en Karl Lagerfeld.

 

Il collectionne des objets pour le moins insolites. Il vit dans un beau fourbi. Dans vos autres livres, « Palaces » ou  « Bureau des prolongations » publiés chez Ego comme X, on a pu constater que vous étiez vous-même un peu collectionneur. Quel type de collections insolites faites-vous ?


     

 

Je ne dirais pas que je suis collectionneur mais j’aime bien les objets de manière générale. C’est vrai que j’ai pas mal de bricoles à la maison un peu spéciales. J’ai pas mal de livres, j’ai une collection de coléoptères, de crânes, de phasmes, de tabourets en bois qui viennent d’un peu partout. Quand j’étais allé en Chine il y a deux ans, j’en ai ramené trois dans mes bagages. J’ai ramené aussi une grande chaise en bois du Burkina-Faso, nouée au sac à dos.

 

Avez-vous déjà pensé à fouiller le fourbi de Limul Goma ? Peut-être y trouveriez-vous votre carnet à dessins perdu, celui de « Palaces » ?

J’aimerais bien, oui ! S’il existait encore, j’aimerais bien le revoir un jour. Il y avait trois semaines de croquis dedans.

 

Et les insectes, les peaux de serpent que vous aviez ramassés, vous pensiez sincèrement les ramener avec vous ?

(rires) J’avais cet espoir-là, oui ! Je pense qu’on peut mettre plein de trucs dans le sac qui va en soute sans avoir trop de souci, en forçant un peu dans les recoins.

Et puis c’était avant 2001 ! Avant que les règles de sécurité ne soient renforcées. J’étais peut-être aussi un peu naïf à l’époque. Je partais les mains dans les poches.

 

Vous habitiez Strasbourg pendant vos études. A la même époque, en 1 999 ou 2 000, à la Chaufferie, il y avait une exposition sur les insectes. Dans cette exposition il y avait une robe en grillage recouvert  d’insectes. C’était vous ?

(rires) Non. Je me rappelle bien la Chaufferie mais pas précisément cette exposition. Si je l’ai ratée, eh bien j’ai raté quelque chose  et c’est bien dommage ! Parce que je devais y être à cette époque-là.

 

Et les inscriptions avec des dates cernées de pistolets dans « Palaces » ? Avez-vous fini par en connaître la traduction ?

Malheureusement, c’est dans le carnet perdu que je les avais recopiées.

Elles apparaissent pourtant dans le livre…

J’ai dû faire preuve de mémoire. Mais c’est dommage, j’aurais bien aimé savoir ce qu’elles signifiaient. Je n’ai pas pu me les faire traduire, malheureusement.

 

Strasbourg, c’est une ville que vous semblez apprécier. Est-ce elle qui se cache dans l’ « Empire des Hauts murs », est-ce la Verrière ?

 

Je n’y ai vécu que trois ans mais j’ai vraiment beaucoup aimé, oui.

Effectivement, c’est Strasbourg. Je ne connais pas la Verrière, je n’ai pas beaucoup  connu Neudorf. C’est la cour du Corbeau avant qu’elle ne devienne l’Hôtel Cour du Corbeau, quatre étoiles, inabordable. Au moment où j’étais à Strasbourg, autour de  2 000, c’était abandonné, en ruines. Il fallait escalader deux grilles très hautes. C’était un peu acrobatique, mais après ça valait le détour ! C’était immense.

C’était vide ou comme dans le livre il restait des objets ?

Il trainait encore des bricoles. Il y avait même de grandes études au fusain parce qu’il y avait un ancien atelier de vitraux. Il restait encore des dessins sur châssis, des bouts de vitraux. Y’avait aussi des fragments de cordons, d’objets dont j’ignore les termes techniques …Il trainait des choses.

 

Pour atteindre leur refuge, les enfants escaladent et se déplacent sur les murs. Une référence à « Ici même » de Tardi ? Tout comme le personnage de Martial, héros d’ « Intrus à l’Etrange » ?

Non. L’inspiration est plus directe. Je faisais ça quand j’étais petit, chez mes parents.

        

Pour Martial, je l’ai beaucoup entendu. Je crois que c’est à cause du chapeau. Peut-être esthétiquement aussi le nez, je ne sais pas.

 

« Intrus à l’Etrange » a reçu ici même l’an dernier le Fauve Polar. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?

 

Ça booste les ventes déjà. Ce qui ne gâche rien.

Pour un livre relativement confidentiel, c’est un coup de projecteur. Ça leur fait beaucoup de bien.

Et pour moi, de la confiance. L’encouragement qu’il me fallait pour continuer de faire des projets de fiction. Notamment parce que celui-ci était particulièrement dur, je l’ai retravaillé beaucoup.  J’ai été bien découragé à pas mal d’occasions. Ça a été laborieux.

 

Merci Simon Hureau.

Merci à vous.

Commentaires (0)