Retour vers le passé : Le Récupérateur de Cadavres (1945)

 

REALISATEUR

Robert Wise

SCENARISTES

Philip McDonald et Val Lewton, d’après une nouvelle de Robert Louis Stevenson

DISTRIBUTION

Boris Karloff, Henry Daniell, Russell Wade, Edith Atwater, Bela Lugosi…

INFOS

Long métrage américain
Genre : horreur
Titre original : The Body Snatcher
Année de production : 1945

Dans une ruelle sombre d’Edimbourg en 1831, une jeune chanteuse des rues rentre chez elle, en tenant dans ses mains les quelques pièces gagnées dans sa journée. Elle pénètre sous une arche et disparaît à notre vue, comme si les ténèbres l’avaient engloutie. Seule sa voix nous parvient encore. Une calèche apparaît alors, conduite par un inquiétant cocher. Le véhicule prend le même chemin. Le chant mélodieux s’éteint brusquement…

Cette scène remarquable d’intensité tout en étant économe dans ses effets est représentative du cinéma du producteur Val Lewton, qui privilégiait l’atmosphère et la suggestion à une approche plus frontale de l’horreur. Les réalisateurs avec lesquels il collaborait savaient tirer parti de budgets modestes pour proposer des mises en scènes inventives qui nourrissaient l’imagination des spectateurs. Je pense bien sûr à Jacques Tourneur pour La FélineVaudou et L’Homme-Léopard et Mark Robson pour Le Vaisseau Fantôme.

Futur réalisateur de West Side StoryLa Maison du Diable ou encore Star Trek, le film, Robert Wise a débuté chez la RKO et a fait ses armes sur La Splendeur des Amberson de Orson Welles (dont il fut, entre autres choses, le monteur) et en terminant La Malédiction des Hommes Chats pour Val Lewton. Après le drame d’époque Mademoiselle FifiLe Récupérateur de Cadavres fut donc le deuxième long métrage en solo de Robert Wise.

 

 

L’inquiétant cocher en question est un certain Mr Gray, un sinistre personnage qui arrondit ses fins de mois en exerçant la macabre activité de déterreur de cadavres pour un professeur qui cherche des corps pour l’éducation de ses élèves chirurgiens. La loi de l’époque étant très stricte, le docteur MacFarlane (très bon Henry Daniell en homme tourmenté) préfère passer par ces moyens détournés pour faire avancer la science. L’éthique scientifique est un des moteurs de ce récit qui adapte une nouvelle de Robert Louis Stevenson (qui s’était inspiré d’un fait divers célèbre, les meurtres de Burke et O’Hare, souvent porté à l’écran), ce qui donne lieu à des situations et discussions intéressantes. Car chaque personnage a plusieurs facettes et même le jeune assistant idéaliste de MacFarlane est prêt à mettre ses doutes sur les méthodes de son mentor de côté si cela peut l’aider à guérir une petite fille de sa tumeur.

Mais les choses dégénèrent à partir du moment où les liens entre Gray et MacFarlane sont dévoilés. Mr Gray est incarné par l’excellent Boris Karloff, qui tourna à trois reprises pour Val Lewton dans les années 40 (les deux autres étant L’Île des Morts et Bedlam). Boris Karloff cherchait à se libérer de son contrat avec la Universal : Frankenstein avait fait de lui une star en 1931 mais en 1944 la créature n’était plus qu’un faire-valoir dans La Maison de Frankenstein, rencontre entre tous les “Classic Monsters”. Karloff y jouait le savant fou et même s’il y était très bon, le coeur n’y était plus. Dans une interview, Karloff a même déclaré que “Val Lewton est celui qui l’a sauvé des morts-vivants et restauré son âme”.

 

 

Le Mr Gray de Boris Karloff est en effet plus subtil qu’il n’y paraît. Il apparaît sympathique de prime abord dans sa première scène, puis gouailleur avant de se montrer plus effrayant. Pourtant, ici pas de manichéisme et les révélations sur son passé enrichissent sa personnalité. Gray et MacFarlane sont un peu les deux faces d’une même pièce et le climax particulièrement tendu apparaît alors inéluctable.

Sur les affiches, le nom de Bela Lugosi, l’autre star de l’horreur des années 30/40, est placé au-dessus du reste de la distribution. Pourtant l’acteur d’origine hongroise n’a qu’un rôle mineur. Val Lewton ne voulait pas de Lugosi, mais la RKO a insisté (pour des raisons purement commerciales, car avoir la créature de Frankenstein et Dracula dans le même film était vendeur). Bela Lugosi n’a donc pas grand chose à faire…jusqu’à son unique (et très réussie) grande scène avec Karloff.

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