Retour vers le passé : L'Esprit de la Ruche (1973)

 

Drame
Long métrage espagnol
Réalisé par Victor Erice
Scénarisé par Victor Erice et Angel Fernandez Santos
Avec Ana Torrent, Isabel Telleria, Fernando Fernan Gomez…
Titre original : El Espíritu de la colmena
Année de production : 1973

Premier long métrage (sur deux) réalisé par Victor Erice, L’Esprit de la Ruche (El Espiritu de la Colmena en version originale) se déroule à un moment important de l’histoire espagnole. L’année est 1940. La Guerre Civile Espagnole s’est terminée quelques mois plus tôt par la victoire des nationalistes du Général Franco, établissant une dictature qui durera plus de 30 ans, jusqu’à la mort de Franco en 1975. L’Esprit de la Ruche est sorti en 1973, soit dans les derniers temps du régime franquiste, et il se dit qu’il a du se confronter à la censure toujours existante, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de sa toile de fond.

Le petit village reculé de Castille qui sert de cadre à L’Esprit de la Ruche peut être vu comme l’illustration de l’état d’un pays toujours traumatisé, presque éteint par la prise de pouvoir des réactionnaires. La bourgade semble coupée du monde, les trains ne s’y arrêtent que brièvement et tout semble mort jusqu’à l’arrivée de la seule distraction, le cinéma ambulant. Ce sont surtout les enfants qui insufflent de la vie aux lieux et ils sont tout excités d’assister à la nouvelle projection, celle du Frankenstein de James Whale.

 

 

Victor Erice filme les visages des bambins de près, aux moments-clés, et s’arrête principalement sur ceux de Ana et Isabel, deux soeurs campées par les très expressives Ana Torrent (qui jouera ensuite dans le Cria Cuervos de Carlos Saura) et Isabel Telleria. Le spectacle les fascine et une scène en particulier impressionne Ana…celle qui montre la créature jeter la petite fille à l’eau (une photo de cette scène a toujours obsédé Erice, en faisant l’origine du projet). Le soir même, Ana demande à sa soeur si le monstre a bien tué l’enfant, s’il est bien mort des mains des villageois. Pour se moquer d’elle, Isabel lui raconte que la créature est bien vivante et qu’elle hante une ferme proche. Ana va s’y rendre régulièrement dans l’espoir de l’apercevoir…

Les scènes de la vie quotidienne de Ana et Isabel s’intercalent avec celles de leurs parents, deux fantômes dans leur grande demeure qui ne se parlent plus depuis longtemps. Ils traînent leur solitude, la première en écrivant des lettres à un amant parti à la guerre, le deuxième en se consacrant à ses chères abeilles. Il reste tout de même des traces de sentiments dans cette maison, exprimés envers les enfants, mais même lorsque la famille est assemblée dans la même pièce, les très bonnes idées de mise en scène font croire qu’ils sont séparés, physiquement et spirituellement. Le père, la mère et les filles ne sont ainsi jamais vu ensemble dans le même plan…

 

 

La situation participe à une atmosphère étrange, presque irréelle. Sans véritable ancrage moral et souvent délaissées, Ana et Isabel errent dans les méandres de leur imagination, avec une obsession de plus en plus marquée pour la mort, ce que montrent bien par exemple les scènes du bûcher et du champignon. Les blagues de Isabel sont particulièrement cruelles (l’une d’entre elle est glaçante) et Ana, magnifiquement interprétée par Ana Torrent, s’enferme de plus en plus dans sa recherche de la créature, une quête morbide qui prendra fin lors d’un dernier acte empreint d’une grande puissance émotionnelle et onirique.

Vision sans concessions de l’enfance dans une période troublée, L’Esprit de la Ruche n’est pas un film facile d’accès…c’est très lent, souvent aride par la façon dont le réalisateur étire ses plans…mais au fil des minutes il se révèle de plus en plus beau, prenant, hypnotique, oppressant, très riche par l’expression de ses symboles (visuels…comme les motifs de ruche qui reviennent régulièrement…et autres) et par ses thématiques. Une oeuvre qui hante encore après sa vision…

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