TUMATXA : L'EMISSION ! - EPISODE 14 : La nouvelle maison à la clepsydre lynchienne
Troisième émission de l’année 2025 pour « Tumatxa! », et quatorzième en tout depuis le début de la saison… Après deux émissions spéciales largement consacrées à des entretiens, retour à la formule classique (cinéma, littérature, BD, le tout en musique) mais avec une petite subtilité néanmoins : il nous fallait bien prendre un moment pour saluer la mémoire de celui qui était encore la semaine dernière le plus grand cinéaste vivant…
On entame donc l’émission par un récapitulatif bio-filmographique : celui de l’immense David Lynch, qui nous a quittés le 15 janvier ; les très nombreuses réactions à sa mort, et le côté authentiquement poignant de la plupart d’entre elles en attestent : le cinéaste américain était un artiste qui « comptait » beaucoup, dont le travail « pesait » énormément dans la vie de ceux qui le suivaient. Je me compte au nombre de ceux qui ont été touchés plus qu’ils ne l’auraient cru possible par l’annonce de sa mort. On revient donc sur ce corpus de 10 long-métrages plus géniaux les uns que les autres, d’une série télé révolutionnaire et envoûtante comme peu avant et après, et aussi sur le rapport singulier que Lynch entretenait avec la musique (ce qui nous donnera l’occasion d’écouter le travail de deux de ses collaborateurs chéris, Julee Cruise et Angelo Badalamenti).
So long, David !! Tu nous manques déjà cruellement.
Pour le cinéma, retour sur un film extraordinaire (une reprise en salles actuellement), signé par le polonais Wojciech Has en 1973, le funèbre et sublime « La Clepsydre ». Adapté des écrits de l’écrivain Bruno Schulz (le Kafka polonais, pourrait-on résumer de façon lapidaire), tragiquement abattu par un SS en pleine rue un jeudi noir de 1942, le film est l’une des plus parfaites illustrations cinématographiques d’une narration obéissant à la pure logique onirique (baignant en outre dans un climat fantastico SF prétexte à tous les dérèglements spatio-temporels), doublée d’une splendeur visuelle invraisemblable. Has se paie également le luxe, adaptant Schulz et le complétant, d’évoquer l’histoire de son pays et de son antisémitisme larvé, depuis le temps de l’empire austro-hongrois jusqu’aux funestes trains de la Mort, tristement évoqué dans le sublime prologue. Quel film, bon sang de bois.
Pour la littérature, sur le bon conseil de Marianne Peyronnet (dans les pages de New Noise), évoquons pour la première fois (et probablement pas la dernière) le travail du musicien John Darnielle, maître d’oeuvre du groupe d’indie rock The Mountain Goats, mais également romancier. Dans « La Maison du Diable » (aux éditions Le Gospel), Darnielle autopsie un crime fictionnel et surtout par la même occasion le courant « documentaire » du « true crime », qui a le vent en poupe et pas qu’un peu, ce qui laisse Darnielle sombrer des abysses de perplexité, et nous avec lui… Outre le passionnant questionnement éthique afférent, le roman surprend également par sa structure extrêmement originale et déroutante (trop pour certains lecteurs apparemment). Un sacré livre, et une sacrée plume.
Pour la BD, nous n’avions pour de mystérieuses raisons non élucidées jamais évoqué le travail de Dash Shaw (« Bottomless Belly Bottom »), pourtant un des bédéastes américains les plus prometteurs apparu ce dernier quart de siècle. Corrigeons cette erreur avec le très surprenant « New School », pas le titre le plus connu de son corpus mais pas le moins passionnant. Deux frères, Danny et Luke, se rendent au début des années 90 sur l’île de X, mystérieux repaire d’une sorte de Walt Disney de pacotille qui a pour projet l’édification d’un étonnant parc d’attractions. Histoire relativement conventionnelle (même si elle comprend son lot de bizarreries), mais ce qui surprend vraiment, c’est le traitement graphique totalement hors-normes de Shaw, entre dessins au marqueur et colorisation aléatoire (à défaut d’un meilleur terme) pour un rendu totalement autre. Pas destiné à tous les estomacs, mais remarquablement original, et en dernière analyse assez fascinant.
Le tout est mis en musique de la plus attentionnée des façons : Julee Cruise nous chante « The World Spins », issu de son premier album « Floating Into The Night », concocté de concert avec Lynch et Badalamenti ; le groupe d’Oklahoma City Chat Pile revient avec le très attendu « Cool World », qui divise, et pourtant le surpuissant « The New World » atteste du fait qu’il y a là-dessus des choses formidables ; John Darnielle est donc aussi le chanteur des Mountain Goats, et du coup on écoute « Rain In Soho » qui ouvre l’album pince-sans-rire « Goths » ; enfin, l’impressionnant duo liégeois Wyatt E. est de retour avec un album magnifique, « Zamāru ultu qereb ziqquratu Part 1 », dont on écoute le conclusif « Ahanu Ersetum »…!!!
« Moving near the edge at night
Dust is dancing in the space
A dog and bird are far away
The sun comes up and down each day »
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