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Critique de La belle mort

par MassLunar le mer. 28 avril 2021 Staff

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Première œuvre de Mathieu Bablet : la Cité des insectes

J'adore le travail de Mathieu Bablet depuis que j'ai découvert comme beaucoup d'autres son fameux Shangri-La. A l'époque, je débutais un stage en librairie spécialisée bd, je n'avais pas une grosse culture en bd/manga et la lecture de Shangri-La me procura un sérieux coup de pied au derche. Ce fut un coup de cœur immédiat à tel point que je conseillais presque en exclusivité ce titre sous les rires des employés. 

Mathieu Bablet est un auteur de bd qui travaille exclusivement pour Ankama et plus précisément pour leur terrible collection Label 619 qui est responsable de certains titres assez déjantés comme Mutafukaz de Run, les comics horrifique Doggy Bags ou encore Freak's Squeele de Florent Maudoux. Outre son travail pour les anthologies Doggy Bags, Mathieu Bablet a surtout signé quatre magnifiques albums au Label 619, quatre bd dos toilé qui mélange fantastique et sociétal, action et réflexion dans des mondes où parfois l'être humain disparaît pour mieux renaître. 

La Belle Mort est son premier album réédité en 2017 à l'occasion de la sortie de Shangri-La. En postface , on peut relever le petit témoignage de l'auteur ému de ce premier titre qui lui a apporté la confirmation d'un auteur de bd. Même si nous ne sommes pas encore dans la consécration apportée par Shangri-La, force est de constater que l'auteur impose avec aisance son imaginaire réfléchi et vertigineux dans ce premier titre. 

La Belle Mort est une aventure post-apocalyptique. Dans une immense ville dont on ne connaît pas le nom, trois personnes tentent de survivre dans ce vaste environnement urbain des plus déserts. L'humanité semble avoir quasiment disparu mais les derniers êtres humains résidant dans ce labyrinthe de bétons et de gratte-ciel ne sont pas seuls. La menace qui a réduit à néant l'humanité est bien présente. Elle se tapie dans les rues, grouillante, raclant le bitume, s'infiltrant peu à peu dans les appartements. Ce ne sont pas des zombies mais des insectoïdes, sortes d'insectes intelligents qui ont supplanté l'humanité. 

Attention, je ne conseille pas cet album aux entomophobes ( les personnes atteint de la phobie des insectes) qui risquent d'en être traumatisés. Mais les insectes n'arrivent pas de suite dans cette fiction.

L'auteur privilégie d'abord l'immersion et un certain sentiment de solitude qui entourent ces personnages livrés à eux-mêmes dans une ville vidée de ses habitants. Les premières pages s'ouvrent sur un pauvre hère qui déambule tout seul dans cette cité labyrinthique avant de basculer sur un petit groupe de trois personnes qui survit en ramassant les quelques boites de conserves encore consommables , ceci  dans l'attente mortelle de leur date de péremption. Ils déambulent d'immeuble en immeuble jouant les yamakasi tout en se cachant des vagues insectoïdes.

Ce qui dénote en premier lieu et qui frappe en pleine figure, c'est le dessin architectural , vertigineux, précis, un dessin tout en profondeur, parfaitement rectiligne qui nous fait perdre la tête dans cette cité urbaine qui semble si vide mais qui est si dangereuse. Des toits des immeubles jusqu'aux intérieurs étouffants et morose des appartements, Mathieu Bablet s'impose facilement comme un " faiseur" d'univers, un artiste parfaitement à l'aise dans la création d'environnements à la fois vaste et régressifs pour l'être humain. Cet effet de "cage", nous la retrouvons d'ailleurs dans Shangri-La qui se déroule dans une immense base spatiale enfermée sur elle-même et qui réduit son humanité à de vulgaires consommateurs. Ajoutez à cela une très bonne utilisation de la couleur et des teintes qui varient suivant les moments de la journée ou qui accentue les effets de torpeurs, d'enfermements, accentuant la folie de certains passages comme une scène d'amour un poil perturbante ou encore la morosité d'une vie enfermée. 

Dans La Belle Mort, cette immense ville dont on ne voit pas les limites agit en effet comme une espèce de prison pour les quelques survivants qui tentent de trouver sans forcément chercher une fin honorable à cet état de survie. Assez fort dans ces thèmes, ce premier album de Mathieu Bablet dépasse la structure classique du récit post-apo. La survie est une première base sur laquelle l'auteur étoffe la psychologie de ces personnages, leur solitude ainsi que des thèmes fort comme le devenir de l'humanité, le reflet du transhumanisme comme en témoigne le personnage du mort-vivant. C'est un titre qui dévoile déjà les qualités ambitieuses de l'écriture de Mathieu Bablet qui n'hésite pas à élever cette fiction vers des sommets extrêmes, parfois un peu casse-gueules, il faut le reconnaître

 L'auteur possède un bon sens du rythme dans un premier temps en tout cas. Par exemple, les insectes n'apparaissent pas de suite mais ils envahissent peu à peu les cases. Invisible dans un premier temps  ( on ne voit que l'ombre d'un mille-pattes géant ) , ils apparaissent peu à peu dans le champs des cases : insectes rampants, volants... jusqu'à des  planches titanesques dévoilant des rampants géants où la gueule colossale d'une reine...

Honnêtement, je suis tellement ensorcelé par le travail de Mr. Bablet que j'ai du mal à y distinguer des défauts avec suffisamment de recul. J'ai relu cet album avec beaucoup de plaisir. Ce qui peut déranger dans cet album pour celles et ceux qui ne connaissent pas le travail de Mathieu Bablet, c'est peut-être le fait qu'en dépit de son rythme progressif, Mathieu Bablet ronge un peu sa narration vers les dernières parties de la bd.  L'album devient plus précipitée avec l'apparition de la jeune femme Soham dont le lien avec quelques personnages et éléments de l'intrigue est un peu mal emmené, voir un peu floue.  Les flash-backs entourant ce personnage sont tardifs et égarent un peu le lecteur. La structure de cette fiction se fragilise dans une seconde partie qui précipitent un peu les choses. De plus , on peut reprocher un petit côté un peu "poseur", un peu mauvais trip avec l'image du corps parasité par les insectes qui, malgré la symbolique de la métamorphose, se révèle un bancal dans l'intrigue et s'inspire plus d'un trip jubilatoire à la Tetsuo dans Akira.  La narration de La Belle Mort est parfois un peu égarée par ses trips étranges ou par le rôle des fois mal emmené de certains personnages. 

Je passe sur le design des personnages qui est assez particulier mais qui est tout simplement le style de Mathieu Bablet. A la première lecture de Shangri-La, je me rappelle avoir été un peu sceptique sur le dessin des personnages comparés notamment à la qualité des décors et environnements architecturaux. Les personnages  sont en effet tous construit sur un même moule avec des traits ovales, aplatis. C'est un style propre à Mathieu Bablet qui souffre un peu de disproportions et de maladresses dans ce premier titre ( première œuvre oblige !)  mais qui est renforcé à chaque album tout en étant affirmé sans être un style passe-partout et qui se marie d'ailleurs plutôt bien avec la bd de genre. On y reviendra avec la future critique de Shangri-La. 

Côté édition, les bd de Mathieu Bablet sont de bels objets : dos toilé, pelliculage mat, couverture immersive... A noter que la pagination augmente d'album en album et nous nous retrouvons avec de bons gros volumes à conserver soigneusement dans votre bibliothèque. 

En bref

En somme, pour cette première bd parue en 2011, Mathieu Bablet délivre une curieuse et intense fiction post-apocalyptique. C'est une aventure hors-normes, dans lequel l'auteur nous éblouit déjà par son style graphique en matières de décors et d'environnements urbains. C'est précis, c'est détaillé et c'est diablement immersif. De même, on distingue d'ambitieuses qualités au niveau du scénario qui est un peu piégé par ses propres ambitions ce qui risque de déranger un premier lectorat mais qui se dévore tout de même avec un grand plaisir, juste pour les émotions que ce premier album nous fait ressentir.

9
Positif

Le dessin architectural et immersif de Mathieu Bablet qui s'impose dès ce premier album comme un remarquable bâtisseur

Les remarquables impressions de solitude et de mélancolie qui nous pèsent dès la lecture des premières pages.

Un rythme mesuré dans un premier temps qui joue avec l'invasion grandissante (et fourmillante) de la menace

Un scénario qui n'a pas peur de son ambition...

Negatif

... au risque du WTF et de quelques lignes narratives mal emmenées.

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