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Critique de Zone Fantôme #1

par Niwo le ven. 21 oct. 2022 Staff

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Double-face

Nous nous retrouvons cette fois-ci davantage dans l’actualité du maître de l’horreur avec Zone fantôme, série très récente au Japon (2021). J’étais assez curieux de voir comment son style a évolué depuis Sensor, notamment car ce dernier me semblait assez éloigné de ce qu'il faisait d’habitude.

Junji Ito cherche clairement à se renouveler en permanence, ses histoires sont toujours uniques et sa manière de détourner l’horreur est fascinante. Il parvient à tout moduler, tout transformer. Tous les thèmes possibles et imaginables deviennent captivants entre ses mains. C’est de ce fait, assez difficile d’expliquer ses œuvres. Je pense qu’il faut tous s’y initier au moins une fois. La compréhension est bien plus limpide ensuite, même si cela reste des récits très complexes dans l’ensemble.

Concernant Zone fantôme, je dois avouer être très agréablement surpris. On se retrouve une nouvelle fois sur un format en histoires courtes (quatre, en l’occurrence) bien distinctes avec leur lot de surprises.

Le coteau aux pleureuses

Yuzuru et Mako vont bientôt se marier et partent en excursion loin de leurs terres. Lors d’une visite de ville locale, ils font la rencontre d’une pleureuse engagée pour un enterrement. Une pleureuse, comme son nom l’indique, est là pour pleurer le défunt afin de lui rendre hommage. Cette vision va radicalement changer la vie de nos futurs mariés, Mako va modifier son comportement du tout au tout et passer son temps à pleurer dès leur retour.

Il semblerait que son passage près d’une pleureuse y soit pour quelque chose. Au-delà de cette histoire qui sert de prétexte, il y a un réel développement bien plus complexe et intéressant à suivre. Cette histoire de pleureuse, qui va bien au-delà d’un simple métier. C’est une véritable croyance, il existe même une ville des pleureuses où elles vénèrent une sorte de déesse, O-Rui. Malgré son décès, ses larmes continuent de couler et seraient à l’origine du passage des âmes vers l’au-delà.

Elle semble avoir un lien étroit avec Mako, puisqu’après son passage, les larmes d’O-Rui cessent et les pleureuses tentent de retenir la jeune femme. Elles prétextent qu’elle doit remplacer O-Rui, mais n’arrivent pas à la faire rester.

Ce qui est assez étrange avec cette histoire, c’est que ce n’est pas de l’horreur à proprement parler. Il n’y a pas de thème horrifique ou des visages à faire peur. Tout est fait en subtilité, et c’est ce qui en fait tout l’intérêt. Chaque détail aura son importance et apportera de la matière au récit.

D’une certaine manière, cette histoire parlera du deuil, de la souffrance. C’est une sorte de réécriture des sentiments humains, de façon fascinante. Chacun peut l’interpréter à sa manière et ne le vivra pas de la même façon, ce qui est complètement incroyable.

Maudite madone

Voici une histoire particulièrement critique. Nous sommes au sein d’une institution religieuse, dans laquelle une « matrone » tyrannique fait peur aux étudiantes. Son mari la trompe sans arrêt et justifie ses actes en disant qu’elle n’est pas la bonne, qu’il cherche une véritable madone capable d’être proche de dieu.

Mais passons cette histoire superficielle, l’intérêt, une fois de plus, est tout autre. J’aimerais faire un point sur la matrone, qui paraît affreuse aux yeux des autres. On a droit à son point de vue, elle ne comprend pas toute cette colère en elle et comment elle a pu autant changer. J’ai trouvé ça intéressant qu’on puisse la comprendre et qu’elle ne soit pas seulement présentée comme un bourreau.

Quant aux élèves, elles se conditionnent à mesure qu’elles passent du temps dans ce couvent. Elles sont comme lobotomisées, sans conviction ni vie au fond d’elles. Il y a toute une ambiance glauque et étrange qui se met en place au fur et à mesure. Au final, le bourreau n’est pas forcément celui qu’on croit, j’ai trouvé cette histoire très moralisatrice et pleine de bon sens. Une fois de plus, Junji Ito va bien au-delà de l’aspect horrifique.

La rivière spectrale d’Aokigahara

La troisième histoire est légèrement moins « réelle » que les autres et beaucoup plus implicite. Je pense qu’il y a clairement une sorte d’hommage aux oubliés, tous ces gens qui ont décidé de quitter leur vie. L’histoire se passe globalement dans une forêt, où vont les gens qui veulent mettre fin à leurs jours. Norio étant gravement malade, il décide de s’y rendre avec sa petite amie. Mais ce qu’il y verra changera radicalement sa vie.

C’est assez difficile de savoir si ce qu’ils vivent est réel ou non, ou si c’est une manière d’accepter leur fin. Norio se lance chaque jour dans une rivière spectrale, devient de plus en plus beau. Sa maladie semble avoir disparu et sa silhouette est de plus en plus élancée. Il s’éloigne petit à petit de qui il est, son comportement change et sa petite amie ne le reconnaît plus. Il y a, tout au long de l’histoire, une sorte de suspense insupportable pour savoir ce que tout cela signifie.

Léthargie

Et ainsi, voici la dernière histoire. C’est sûrement celle qui se rapproche le plus de notre réalité. Nous allons parler d’un tueur au série, qui arrive à mettre en tête à un jeune homme que c’est lui le tueur. Ce dernier se réveille chaque matin avec des souvenirs du meurtre de la veille, et est persuadé d’être le meurtrier. Ce qui est assez étrange, c’est que, jusque-là, cela reste une histoire classique. Très bien dessinée et prenante, mais classique. Tout se joue sur les dernières pages, qui prêtent à interprétation. Il n’y a pas réellement de chute, mais chacun peut se faire son propre avis.

Pour ma part, je pense que c’est une sorte de malédiction qui se transmet. Qu’une fois qu’on a ces rêves la nuit, on est voué à être le prochain tueur. La folie nous possède et on ne contrôle plus rien. J’aime assez cette conclusion qui nous pousse à réfléchir.

On sent, par ailleurs, que l’auteur a été davantage libre sur ses conclusions, celles-ci étant bien moins abruptes qu’à l’accoutumé.

Son trait graphique a lui aussi bien évolué, ses dessins sont très précis et les planches horrifiques ont de plus en plus d’impact. C’est d’autant plus flagrant quand on passe du début de Tomie à ce titre-ci. Pour faire un petit aparté sur la couverture, elle est tout bonnement superbe ! Comme à son habitude, Junji Ito a dessiné une illustration qui regroupe toutes les histoires du tome, de manière somptueuse et originale. J’avais déjà été étonné avec les Chefs-d’œuvre de Junji Ito, mais là je dois dire que je suis bluffé ! Le logo créé par Spade n’est pas en reste non plus. Il parvient toujours à l’adapter à chaque titre et donner un ensemble cohérent. C’est une superbe collection.

En bref

Encore un excellent tome signé Junji Ito ! Quatre histoires prenantes et uniques, qui traitent toutes d'un thème différent. De l'horreur incroyable et subtile, des fins plus développées qu'à l'accoutumé. C'est définitivement un de mes coups de cœur de l'auteur, je ne peux que vous recommander de le découvrir par vous-même !

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