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Critique de Super-soldat

par Ben-Wawe le mer. 3 mai 2023 Staff

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Un intense et dynamique récit alliant deuxième guerre mondiale et super-héros, au rythme puissant et sans aucune fioriture

La société OREP (Organisation, Régie, Edition, Publicité), initialement créatrice de revues municipales et touristiques, puis agence de communication, s'est lancée dans l'édition en 1994, pour les 50 ans du Débarquement des Alliés en Normandie.
La structure est en effet spécialisée sur les productions locales, en Normandie donc, et propose ainsi plusieurs oeuvres en lien avec le Débarquement, mais aussi de manière ludique avec des versions personnalisées de quelques grands succès, comme le Monopoly D-Day.

En 2023, OREP propose une bande-dessinée spécifique : Super-Soldat, formée par un trio d'auteurs.
Jean-Blaise Djian, co-scénariste né en 1953, est d'abord compositeur de musique puis rencontre Régis Loisel en 1987, qui l'initie aux formes du scénario avant de collaborer ensemble en 1988. L'auteur poursuit sa percée, propose Fatal Jack puis livre plusieurs oeuvres sur la Normandie, où il réside désormais. Il scénarise également des albums se concentrant sur des événements peu connus de l'Histoire, notamment en lien avec le génocide arménien.
Jean-Marc Lainé, co-scénariste né en 1970, est scénariste, dessinateur, traducteur, créateur de jeux, conférencier, responsable éditorial et enseignant. Sa longue carrière l'a amené à des fonctions chez l'éditeur Semic, à réaliser des bande-dessinées mais aussi à former plusieurs livres de réflexion et de documentation, notamment sur les comics (Frank Miller : Urbaine Tragédie, Stan Lee : Homère du XXe siècle...).
Enfin Jay, dessinateur né en 1977, se lance dans les fanzines en 2001 puis sort en 2007 avec Jean-Blaise Djian une bande-dessinée policière pour la Médiathèque Départementale de l'Orne. Il réalise ensuite plusieurs oeuvres, et collabore régulièrement avec le scénariste, notamment sur des productions concentrées sur le contexte local.

Tous trois réalisent ainsi les cent pages de Super-Soldat, qui est une lecture intense.
Cette bande-dessinée se révèle au fil de sa centaine de pages une bonne et plutôt belle histoire, mais c’est avant tout un récit intense, très dynamique et prenant. Il est difficile de lâcher la lecture, tant l’on peut se sentir happer par un récit qui déroule efficacement des éléments certes déjà-vus, mais bien amenés ici.
L’ensemble assume de remplir son double objectif, que l’on comprend à la fin : autant dire si les deux personnages principaux vont se retrouver, que livrer fondamentalement une histoire étrange, obscure et belle du Débarquement.

De quoi parle Super-Soldat, fondamentalement ? D’amour et de devoir.
L’amour entre deux frères, Eddy et Johnny Collins. Deux bons gars du Kansas, qui quittent la ferme qu’ils ont toujours connue en 1943 parce que l’Appel est lancé après Pearl Harbor. Tous deux traversent l’Amérique, puis l’Atlantique, et découvrent l’étrangeté des camps militaires et de la vie en Grande-Bretagne assiégée. Tout ça pour être prêt pour le D-Day, ce fameux 6 juin 1944 où l’un devra prendre Omaha Beach avec les GI, l’autre la pointe du Hoc avec les Rangers.
Tous deux sont séparés, et vont tout faire pour se retrouver - et accomplir leur devoir ; parce que. Parce que c’est comme ça. Parce qu’il le faut. Parce qu’ils le doivent. Les auteurs ne se livrent pas à un examen approfondi des psychologies des deux personnages, ils donnent ce qu’il faut pour saisir ces deux jeunes hommes perdus, mais appelés à un destin plus grand - et aux dépassements que cela impose.

Bien évidemment, avec un tel titre, Super-Soldat est plus qu’un « simple » récit de Débarquement, qui serait pleinement cousin de Il faut sauver le soldat Ryan. Eddy a une force surhumaine, en fait. Et une résistance surhumaine, et la volonté d’avancer, de réussir, de sauver ses hommes et de faire le job.
L’on suit ainsi essentiellement Eddy et son petit commando, des survivants qui sont tout soulagés d’avoir un bon meneur, en qui ils croient et qui assure. Johnny est plus en retrait, bien sûr, mais « existe » quand même, et a notamment un beau rôle et une vraie importance sur la fin.

Très clairement, ces éléments ne sont pas « originaux » en soi, mais ce n’est pas un défaut. Il y a eu plein de récits de guerre, et plein de récits de surhumains en guerre ; les auteurs ont d’ailleurs la gentillesse et la connivence de glisser trois clins d’oeil habiles, joliment rappelés en annexe (nous y reviendrons).
Non, Super-Soldat n’est pas un récit original - mais c’est une bonne bande-dessinée, car elle est très bien faite et très intense.
Le rythme est ici formidable, extrêmement dense et dynamique. Il n’y a pas de temps mort, il n’y a pas de page perdue… il n’y a même pas de case perdue ! Le découpage est bon, l’essentiel est toujours présent. Le récit semble calé « sur l’os », sans aucun gras ; et cela fonctionne complètement dans une histoire aussi dramatique voire apocalyptique. Les gars n’ont pas de temps à perdre, le lecteur non plus. En soi, les gars n’ont pas de temps tout court, d’ailleurs.

L’avancée est ainsi légitime, fluide et réussie. Les événements se succèdent, les auteurs livrent de pertinentes anecdotes sur la vie des militaires avant le Débarquement, et c’est autant fluide que pertinent.
Le Débarquement lui-même est une terrible réussite. Omaha est une violence absolue, une boucherie où ici le gore ne règne pas, mais la lecture donne un sentiment d’apocalypse idéal. La pointe du Hoc est l’ultime moment de bravoure, extrêmement bien réalisé, avec au préalable des moments de « pause », d’errance des soldats dans un inconnu dangereux. Terrible et prenant.

Le final, réussi et agréable, peut et va surprendre sur la « portée » des événements, mais cela épouse les dernières lignes de la voix-off, qui confirme le projet de narrer une histoire oubliée volontairement du Débarquement.
Et c’est bien. Et ça rend bien.
De même, le « mystère » sur Eddy interpelle, car les auteurs glissent des éléments sur l’origine de ses pouvoirs tout en ayant évoqué initialement des capacités antérieures. Cela créera des avis divergents, mais cela participe beaucoup à cette histoire oubliée volontairement, mise au secret.

Le scénario de Jean-Blaise Djian et Jean-Marc Lainé est ainsi extrêmement prenant et réussi, avec un graphisme solide. Jay a un dessin réaliste avec un style « riche », il y a beaucoup de choses, beaucoup de traits. On en a pour son argent, même si c’est parfois un tout petit peu confus. Cela manque quelques fois de mouvement, mais il faut relever des décors très réussis, et surtout des batailles extrêmement intenses, denses et lisibles. Ce sentiment d’apocalypse et de folie et de horreur vient pleinement de Jay, et il faut le féliciter grandement.

Enfin, l’objet est bien réussi aussi. Souple, avec de bons rabats, il a un papier agréable, un format légèrement plus « petit » mais bienvenu. Un article annexe explique les liens entre super-héros et deuxième guerre mondiale, avec des croquis et illustrations intéressants, et un petit rappel pour les distraits des clins d’oeil.
C’est une bonne façon de finir un ensemble qui a été une très bonne surprise

En bref

Super-Soldat est une bonne lecture dense et prenante. Les auteurs ne livrent pas un scénario original, mais tirent très intelligemment partie des éléments connus du Débarquement pour dresser de beaux portraits de personnages, et de moments terribles qui révèlent les hommes et les âmes. Le rythme est saisissant, l'intensité est totale et la narration extrêmement maîtrisée. Le dessin détaillé a parfois quelques confusions, mais se révèle épatant dans l'apocalypse des batailles. Une bande-dessinée intense, qui réussit ses paris et livre de bons indices sur ses mystères.

8
Positif

Un scénario dense, sans fioriture, sans gras, pour une intensité totale.

La réussite du double pari de narrer le sort de deux frères au feu, et un épisode étrange et "oublié" du Débarquement sur un soldat surhumain.

La puissance des dessins dans les batailles, bluffants et envoûtants dans l'apocalypse qui se révèle.

Negatif

Un vrai bon récit, très maîtrisé, mais objectivement peu original pour qui a déjà lu des intrigues similaires.

Les éléments sur les super-pouvoirs, qui peuvent et vont diviser.

Des dessins bluffants par moments, mais parfois confus ou légèrement figés.

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