Viens Dans Mon Comic Strip : La porte étroite

Jim se penche cette fois sur un personnage mythique : le silver surfer mais dessiné par un auteur étonnant !

LA PORTE ÉTROITE

Le Surfer par Mitton

 

On ne dira jamais assez de bien des scanblogs, ces blogs de monomaniaques compulsifs qui postent des épisodes entiers de choses aussi intéressantes qu’oubliées. Phénomène purement anglo-saxon, qui n’a pas d’équivalent en France.

Sans doute pour d’obscures raisons légales liées à la propriété intellectuelle, la pratique du scanblog n’est pas répandue en langue française, alors qu’elle l’est dans la sphère anglo-saxonne (et américaine), où l’on sait pourtant qu’une autre pratique est en vogue, celle du procès. Ma foi, c’est un peu dommage. Auteur moi-même, je suis partagé entre d’un côté l’exigence de la défense et de la protection des idées et de l’autre la nécessité de les faire partager. Un scanblog pourrait se donner comme ambition de faire remonter à la surface les vieilles séries mésestimées, les récits courts d’auteurs aujourd’hui reconnus, les curiosités éditoriales, les couvertures rarissimes… Bref, tout le contraire d’une mise en ligne de productions récentes, l’inverse d’une concurrence déloyale. En l’absence de toute réédition papier, les scanblogs pourraient être l’occasion de redécouvertes. Et indirectement, de promotion. Histoire de redécouvrir Mitoudou et son singe Toulour de Cézard, ou Ouen le Bûcheron de Chéry (qui connaît des rééditions récentes chez La Vache qui médite, mais c’est hélas confidentiel), ou de Durga Rani de Pellos… Autant de choses, et encore mille autres, qui pourraient refaire surface sous les yeux d’un nouveau public enchanté.

Dans cet environnement frileux, il n’est donc pas étonnant que l’existence d’une aventure du Surfer d’Argent dessinée par Jean-Yves Mitton, de longues années avant la version de Moebius qui avait fait couler tant d’encre enthousiaste, soit passée inaperçue.

Vous allez dire que votre humble serviteur radote et gâtifie, mais force est de reconnaître que la critique (et l’historien dans la foulée) a tendance à mépriser purement et simplement la production de kiosque. Et donc à passer à côté de petites perles. En l’occurrence, ce premier récit hexagonal consacré à notre ami Norrin Radd a été publié dans Nova, mensuel des éditions Lug que d’aucuns ont prestement rangé, comme le reste de la production dans l’éditeur, dans la vaste appellation fourre-tout de « bédés de gare ». Allez hop, poubelle, et vive l’album.

Là encore, c’est un peu exagéré de résumer ainsi la situation, mais ce n’est pas entièrement faux. Une autre raison de l’oubli autour de ce récit, dans un pays où le Surfer est aujourd’hui légendaire et respecté de plusieurs générations de lecteurs, et où Jean-Yves Mitton jouit d’une certaine aura en plus d’une production imposante dans le monde de l’album, est que le diptyque soulève des questions légales. D’après ce que j’ai entendu, l’intégrale du Silver Surfer publiée en 2001-2002 avait l’intention de reprendre les deux épisodes publiés dans Nova, à l’occasion de quoi une nouvelle colorisation aurait été commandée. Visiblement, cela ne s’est pas fait. Si effectivement une telle entreprise a été envisagée, on peut sans peine imaginer que Marvel, qui avait donné son accord lors de la publication initiale chez Lug, ait craint que le droit français (qui reconnaît la propriété intellectuelle, au moins en partie quand il s’agit d’une commande) ait compliqué la publication et la distribution des droits afférents, préférant au final ne pas en autoriser l’édition. Les différences légales entre le droit français et le droit américain semble suffisantes pour effaroucher un éditeur français et un ayant-droit américain, si tant est que le projet ait été lancé, les rumeurs que j’ai entendues n’étant pas bien précises à ce sujet. J’imagine sans mal que des gens puissent en savoir plus que moi et venir ici nous éclairer de leurs lumières sur les circonstances de l’époque.

Quoi qu’il en soit, si effectivement Soleil a tenté de rééditer les deux épisodes du Surfer par Mitton, et a échoué, cela présage que le récit est sans doute, dans un futur proche, condamné à rester dans les pages de Nova.

Et sur le Bronze Age of Blogs, où une version relettrée en anglais (assez proprement, il convient de le souligner) est disponible à la consultation pour les anglophones qui n’auraient pas eu la chance de lire les deux Nova concernés. Dommage qu’il faille aller chercher un scanblog étranger pour dénicher cela. Car sur le net francophone, à part quelques tentatives méritantes de l’ami Zaitchick qui a ouvert différents sujets sur le Surfer français, personne n’en parle trop, les images étant aussi rares que maigres.

Le Surfer d’Argent a connu un succès aussi étonnant que récurrent en France. Publié dès le premier numéro de Fantask en 1969, puis dans Strange n°1 en 1970, il participe également à l’inauguration de Nova n°1 en 1978, le mensuel de petite taille accueillant la réédition de la série de Stan Lee et John Buscema (dont les premiers numéros sont proposés dans la présentation d’origine, après avoir été remontés pour les premiers Strange, en format poche). Là encore, gros succès, au point que Lug se retrouve bientôt à court de matériel. Ils passent un accord avec Marvel et produisent un diptyque, publié dans Nova n°25 et 26, en février et mars 1980, « La Porte étroite ». Marcel Navarro en signe le scénario sous le pseudonyme de J. K. Melvyn Nash (orthographié « Mash » dans une première version du lettrage de la page 1), un nom de plume qu’il a déjà utilisé pour le Fantax de Pierre « Chott » Mouchot et pour de nombreuses autres séries. Mitton signe sous son nom, et nom celui de John Milton qu’il utilisera pour Mikros.

« La Porte étroite » (titre emprunté à André Gide), d’obédience biblique, s’ouvre sur la promesse de la destruction imminente de la Terre par un bolide céleste. Le Surfer en appelle à la raison humaine mais se trouve rejeté par les instances de l’ONU et par l’homme de la rue. Frappé par l’éclair, victime d’une chute tel un ange déchu et finalement lapidé, il s’envole, inconscient, comme sauvé par une main divine (« Esprit immobile ! Lumière, source de toute vie !… ») et, allongé sur son surf tel le gisant d’un saint, traverse la fameuse barrière de Galactus le retenant sur Terre pour aller dénicher outre-espace le moyen de sauver la civilisation qui le rejette.

Navarro et Mitton se montrent plus royalistes que le roi, plus Stan Lee que Stan lui-même, et proposent un Surfer plus christique que jamais, présenté les bras soit en croix soit tendus et offrant le pain rompu de la charité. L’apocalypse à venir convoque les images les plus édifiantes, de Mephisto ricanant sur son trône en flammes aux hordes de démons cornus à moto (ou de motards cornus démoniaques, allez savoir). Véritable rouleau compresseur, l’histoire passe en revue l’essentiel du mythe du Surfer.

Au point que l’on se demande ce qu’ils auraient pu raconter d’autre dans l’hypothèse d’une suite, qui semble-t-il a été envisagée. D’après les témoignages, s’il n’y eut pas de suite, c’est que les coûts étaient trop élevés. On peut se permettre d’en douter : Nova vendait bien, et les coûts de la création ne concernaient qu’un épisode sur trois, donc les frais devaient être amortis. A contrario, Mustang « Sup’Héros » proposait trois séries nouvelles, donc des coûts plus élevés et sans doute un seuil d’amortissement plus élevé, sans vedette Marvel pour attirer le chaland. En revanche, il n’est pas impossible que l’élément déclencheur soit la nécessité de payer des droits à Marvel. Quitte à créer des bandes dessinées inédites (et Lug avait le savoir-faire en la matière depuis des années), autant ne pas en faire profiter les ayants-droit.

 

Quoi qu’il en soit, la réussite formelle de ce diptyque, et sans doute également la démonstration de Mitton qu’il est capable de se fondre dans un moule américain et la réaction favorable du public, a peut-être eu son influence dans la création de Mikros. En cela, on peut une fois de plus en remercier le Surfer d’Argent, à qui l’on doit décidément beaucoup de choses.

Source:

Jean-Marc Lainé, auteur, traducteur et responsable éditorial dans le monde des comics. Il a écrit récemment le livre : Comics & Contre-Culture, disponible à ce jour.

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