Le coin des histoires courtes : Spider-Man’s Tangled Web #4

Marko nous parle de ce numéro focalisé sur un malfrat de l'univers de Spider-man.

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Spider-Man’s Tangled Web #4 (septembre 2001)
Severance Package
scénario: Greg Rucka
dessin/couverture: Eduardo Risso


Au début des années 2000, Axel Alonso se voit confier la gamme des titres de tête de toile, avec dans l'idée de diversifier la franchise, c'est dans cette optique que la série Tangled Web est créée, une anthologie qui permet à des auteurs reconnus venant aussi bien du mainstream (Ennis, Wells, Azzarello, Weeks) que de l’indé (Cooke, McKeever, Pope, Mahfood) de participer à cette oeuvre à part.
C'est l'occasion de proposer certaines histoires avec comme indication de base la volonté de se concentrer sur l’univers de Spidey et ses répercussions plutôt que sur le personnage en lui-même (réduit le plus souvent au rang de caméo/guest star).
Cette orientation est l’occasion de se focaliser sur des bad guys de seconde zone ou de simples citoyens new-yorkais, ce qui permet une liberté accrue et une plus grande marge de manoeuvre dans l’écriture, au point que certains épisodes semblent être plus de l’ordre du récit hors continuité, voire retconné par la suite comme c'est le cas avec l'épisode qui évoque la jeunesse de J. Jonah Jameson.
Le statut de cette série à la marge permet aux scénaristes d’expérimenter et d’innover dans un cadre bien précis, à la manière des séries Batman: Black & White et Legends of the Dark Knight de la distinguée concurrence.



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Cet épisode s'inscrit dans cette lancée puisque il délaisse le monte en l’air (même si ici il apparaît de manière fugace au détour d’un reportage télé) pour se pencher sur le destin d’un homme de main/collaborateur régulier de Fisk, non pas une éternelle petite frappe tendance looser au rôle de bouffon gaffeur comme Turk, mais plutôt quelqu’un du calibre de Lynch ou Wesley, montrant ainsi une partie de l’envers du décor de l’organisation criminelle du Caïd.
Ce protagoniste principal nommé Tom Cochrane est présenté comme un partenaire en affaires plus que compétent, ayant une situation aisée, et visiblement intégré dans le milieu depuis pas mal de temps, faisant preuve de beaucoup de self-control et ayant à coeur de se comporter de manière responsable (le mantra récurrent de Spidey s’applique donc à travers un prisme complètement différent).

Après avoir appris que son plan a capoté en raison de l’intervention du tisseur, il se retrouve dans une position plutôt délicate par rapport à son employeur, son échec ayant des conséquences désastreuses, provoquant un effet papillon qui illustre l’impact souvent insoupçonné que les actes pourtant bénéfiques des nombreux héros peuvent avoir.

Le scénario précis et concis, va droit au but sans une once de gras ou de détail superflu, les digressions n'étant pas nécessaires dans ce cas de figure, ce qui amène une sobriété bienvenue, à l’image de son personnage principal, plus proche dans la mentalité d’un Michael Corleone taiseux que d’un Tony Montana grande gueule.
Suspense, violence, tension, tous les ingrédients du genre ou presque sont présents, au sein d'un canevas de l'ordre du récit façon "film noir" quasi intemporel s'il n'y avait pas les portables et les Twin Towers.

L’idée de base de l'intrigue est est simple mais c’est la façon dont elle est gérée qui fait toute la différence et qui rend cette histoire unique. Cela est bien visible dans son aspect émotionnel, qui ne passe pas par des tonnes de dialogues, c’est alors à la partie graphique de prendre le relais par le biais d'une restitution visuelle, de la représentation d’un dilemme intérieur, poignant sans en faire des caisses, restant dans ce cadre intimiste et feutré dans lequel évoluent les personnages.


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Suite à sa carrière d'écrivain de romans noir, Greg Rucka continue dans cette veine polar qu’il affectionne, ce qui tombe bien car c’est un domaine dans lequel son collaborateur est particulièrement à son aise, car cette intrigue qui fait la part belle à l'atmosphère permet de mettre en avant le talent de Risso qui brille dans cet épisode, par sa capacité à soigner la composition et plus largement son sens de la narration séquentielle.

Son style ligne claire expressionniste met en avant sa gestion des éclairages et des contrastes, un élément primordial de l'approche du dessinateur qui est une de ses spécificités les plus reconnaissables et les plus appréciables. Les aplats noirs et l'aspect clair-obscur apportent une touche minimaliste et une force visuelle supplémentaire.

Cette stylisation apporte une constante élégance dans la représentation, commune à la plupart de ses oeuvres, tel le regretté Gordon Willis dont on reconnait la patte au fil des oeuvres.

Conscient des risques encourus, Cochrane se montre à la fois loyal et résigné, dès lors que son plan a échoué il sait qu’il doit rendre des comptes et qu’il ne peut y échapper. Le coût de l’échec est élevé à cet échelon, une simple erreur et tout ce qu’il a construit risque de s’effondrer, hormis s’il accepte le choix qui s’impose pour protéger sa famille.
À ce stade il y a trop en jeu, il ne peut se permettre de tout envoyer valser dans une posture désespérée de repli comme l’anti-héros de Thief/Le Solitaire.

Malgré sa connaissance du milieu et de ses dangereuses implications, il reste calme et pragmatique tout en évaluant ses options éventuelles, pas besoin de dialogues pour l’expliciter, la simple information visuelle suffit à comprendre ce qui lui vient à l’esprit, et c’est toute la maîtrise de Risso dans ce domaine qui fait toute la différence, notamment dans les cadrages mettant en valeur seulement les éléments essentiels à la compréhension de ce qui se déroule, changeant de perspective et de point de vue selon les scènes.

Le dessinateur argentin arrive à retranscrire cette impression de fatalité qui pèse sur les épaules de Cochrane, la suite des événements est prévisible, mais les détours en chemin pour arriver à cette situation ne le sont certainement pas. À l’instar des meilleurs récits hardboiled, on devine la tournure des événements, mais on se prend à espérer qu’il en sera autrement, une preuve certaine de son efficacité narrative.



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Lorsqu'il atteint l’antre de son supérieur hiérarchique, l’atmosphère n’est déjà plus la même, son chemin parcouru prend à partir de là des allures de descente infernale, une manière de se concentrer sur l’aboutissement de son pacte faustien avec Fisk, qui se démarque par sa carrure gigantesque à l’image de sa forte influence dans le milieu criminel, ce physique bigger than life lui accordant d’emblée une prédominance, une singularité, donnant l’impression qu’il vit sur un autre plan.

Plus il se rapproche du Caïd plus la colorisation vire aux teintes rougeâtres et sombres, marquant symboliquement son entrée dans un lieu qui abrite une instance supérieure auquel il ne peut espérer échapper. Il a signé un pacte avec le diable et le temps est venu de payer, il ne reste plus qu’à gérer les préparatifs et à essayer d’arriver à un accord mutuel si tant est que ce soit encore possible.

L'ombre menaçante de l'ennemi juré de DD plane sur l'ensemble du récit, son emprise est palpable même s’il est rarement présent de manière effective dans l’histoire.

Son allure imposante va de pair avec son assurance en toutes circonstances, déterminé tout en faisant preuve de sang-froid, plus proche de l'implacable version millerienne que du colosse colérique de Romita Sr, qui avait tendance à se faire vanner par Spidey sur son embonpoint, ce que bendis a retenu pour la version ultimate.

 

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Fisk a engagé des professionnels et Cochrane ne fait pas exception, malgré son rang il n’est qu’un domino chancelant au sein de cette organisation, et un obstacle de moins dans la perspective d’atteindre son chef.

Or chacun de ces pions sont des êtres humains tout autant leurs adversaires, et avec cet épisode entre autres le lecteur accède au point de vue de ce type de personnages, ayant un aperçu de ses failles et de l’ampleur du drame qui se joue, il ne s'agit pas de justifier ses actes bien au contraire, mais d'amener un peu de nuance dans la caractérisation.

 

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Du début jusqu'à la fin, l'ensemble est mené de main de maître par un scénariste qui connait les codes du genre par coeur, et capable ainsi de déjouer les attentes, une franche réussite qui lui a valu une nomination bien mérité aux Eisner Awards dans la catégorie "best single issue", un domaine dans lequel cette série se démarque puisque elle contient quelques autres perles, et notamment l’excellent diptyque "Flowers for Rhino" du duo Milligan/Fegredo, dont le schéma narratif est basé sur le roman "Flowers for Algernon" de Daniel Keyes.

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