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Critique de Will Eisner - New York Trilogie #1

par Le Doc le lun. 3 déc. 2018 Staff

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La Ville. L'Immeuble. Les Gens...New York par Will Eisner.

"Vivre dans une grande ville, c'est un peu comme vivre dans une jungle. L'individu s'intègre à son environnement. Il adopte instinctivement les rythmes et la chorégraphie, et avant longtemps, la conduite du citadin est aussi spécifique que celle des habitants de la jungle. Des talents de survie complexes et de subtils changements de personnalité viennent modifier le comportement".

La couverture de l'Intégrale de la Trilogie New York pose, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, les forces de l'oeuvre de Will Eisner. Il y a une telle profusion de détails, un tel déploiement de gestes, de postures, d'expressions, que l'illustration se passe aisément de paroles. C'est grouillant de vie, on entend presque les bruits de la circulation et des travaux, les discussions animées, la musique, l'âme de la ville...

Comme le maître l'écrit lui-même dans son introduction, La Ville, premier volet de la Trilogie, est composé de "photographies", d'instantanés autour d'un élément spécifique. Will Eisner a grandi à New York, il connaît parfaitement la Grosse Pomme et c'est ce qui fait l'authenticité des petites et grandes histoires que le lecteur découvre au fil des pages. Près des grilles d'aération, sur les perrons des immeubles, dans le métro, derrière les fenêtres, le théâtre de la vie est fait de vignettes le plus souvent muettes (et pourtant tellement parlantes) et de moments touchants, amusants et aussi cruels. 

La Ville peut être brutale, et Eisner ne manque pas de le rappeler, sur le visage de cette mère de famille d'un quartier pauvre qui se voit privée de sa seule source d'eau, dans la panique de ces travailleuses cernées par les flammes et qui vont devoir se résoudre au pire, dans l'horreur de ces femmes violées ou volées devant des témoins qui ne réagissent pas. L'observation est précise, le regard est acéré dans cette déambulation urbaine qui ne laisse pas insensible.

Le fantastique intervient dans L'Immeuble.  Will Eisner établit un lien entre les constructions de pierre et les vies qui les ont animés en reprenant une caractéristique des histoires de hantise, avec ces lieux qui ont en quelque sorte absorbé les souvenirs, les pensées, les bons moments comme les mauvais. Dans ce deuxième tome, les destins de quatre personnes s'entrecroisent près d'un immeuble et s'ils ne se connaissent pas, ils ont un point commun : celui d'être hanté. Hanté par la mort d'un enfant qu'il aurait pu empêcher, hantée par un amour qu'elle n'a pas pu vivre pleinement, hanté par les choix qu'il aurait pu faire si son talent avait été reconnu, hanté par ce bâtiment jusqu'à la ruine. Quatre destins, racontés de fort belle façon, entre planches subtilement composées et superbes pleines pages. Quatre fantômes qui auront l'occasion d'influer sur les événements pour relancer un nouveau cycle..une vision dont la tristesse cède la place à l'optimisme. Car c'est ça, la ville...des gens disparaissent, des repères géographiques aussi et d'autres prennent leur place...pour de nouvelles histoires.

Oui, il y a de la légèreté dans certains portraits (surtout dans La Ville et le carnet de notes où Eisner se met lui-même en scène, croquant le quotidien), mais comme je l'ai déjà souligné, il y a aussi de la dureté. Le troisième et dernier tome de la Trilogie parle des Gens, et surtout des gens invisibles, ceux broyés par le système. Sanctum est pour moi un des récits les plus durs écrits et dessinés par Will Eisner, le parcours d'un homme livré au désespoir à cause d'une erreur administrative. La progression dramatique est implacable et le final est glacial. Les protagonistes du Pouvoir et du Combat Mortel  doivent aussi faire face à l'invisibilité, qu'elle soit imposée par un parcours aussi étonnant que symbolique ou par la cruelle ironie du sort. L'atmosphère est parfois un peu pesante, mais c'est aussi un des aspects incontournables de ce théâtre de la vie dans lequel Eisner excellait, et la narration est juste brillante.

Les postfaces de Neil Gaiman et du responsable éditorial Dennis Kitchen sont reprises à la fin de ce beau volume de plus de 400 pages.





En bref

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