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Critique de Tachiguishi Retsuden

par Leif le dim. 15 août 2010

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Tout droit sorti du four créatif de la cuisine intégrée de maître Mamoru Oshii (sur son arbre personnel perché, au sens fort de "perché"), Tachiguishi Retsuden n'a heureusement d'indigeste que le titre (un tantinet barbare pour les non-initiés aux beautés de l'idiome nippon). En effet, accompagnée de patates douces et arrosée du vin chaud qu'il mérite, cette spécialitée régionale vaut aussi bien en entrée qu'en plat de résistance (puisque la "résistance" est au coeur du propos) et s'avère être un authentique régal pour fins gourmets... Alors bien sûr, sur le fond comme la forme, ces quelques une heure quarante de voix-off quasi-ininterrompue entrent d'emblée dans la catégorie "Objet Visuel Non Identifiable" (tendance soporifique). Pour autant, loin de se prendre les pieds dans le tapis de son audace, le produit fini transforme ses contraintes formelles en atout créatif majeur et son absurdité d'apparat en réflexion aussi humaine que tendre sur l'archétype du "marginal". Ni vannes faciles, ni gags idiots, ni ridicule involontaire : la sauce prend dès les premières secondes d'un long métrage tenant moins du film proprement dit que du reportage érudit pour canaux d'intellectuels. Parabole virtuose, l'objet du délit retrace à la carte l'histoire d'un japon uchronique, fictif, de sa défaite en 45 à nos jours, tant dans ses moments marquants, ses évolutions sociales que ses désillusions. Le tout, abordé sous l'angle de l'anecdote, via l'étude-prétexte d'une légende urbaine aussi fictive que son décor, celle des très sympathiques "écumeurs de gargotte". A savoir : des escrocs-vagabonds spécialisés dans la resquille de proximité (partageant d'étranges points communs métaphoriques avec les animateurs et autres réalisateurs de dessins-animés). A travers huit portraits haut-en-couleurs agrémentés d'entretiens, d'analyses, de témoignages, de reconstitutions et d'études comparées d'ouvrages, au-delà de leurs forfaits, de leurs succès, de leurs échecs, on découvre leurs modus operandi, la philosophie qui guidait leurs actes, leurs histoires personnelles, en quoi ils étaient représentatifs de l'esprit d'une époque et comment leur existence va au-delà du simple vagabondage, sur le plan symbolique. D'une intelligence remarquable (marque de fabrique de l'auteur, connu pour ses Ghost in The Shell, mais ayant signé aussi les mythiques Avalon et Tenshi no Tamago), l'essai transcende un genre imaginaire pour donner à méditer sur le rôle et la place fondamentale des parias, des laissés-pour-compte et des protestataires raisonnés dans l'équilibre de toute société organisée. Des marginaux tendance romantique/romanesque, de ceux qui font leurs choix différemment, qui vivent selon leur propre voie, en fonction de leurs seules valeurs et au gré de leur seule inspiration... Il présente leur décalage revendiqué (si absurde qu'il paraisse) comme un acte de dissidence, de subversion résignée et d'authentique révolte (et rejoint en cela la morale d'un autre dessin animé de marginal, de facture plus classique : Tylor, l'irresponsable capitaine). D'une écriture remarquable, parfaitement relevée par la bande originale de l'excellent compère -cuistôt Kenji Kawai, le tout est servi sur un plateau inédit de SuperLiveMotion, technique d'animation expérimentale mêlant animation traditionnelle et prises de vue réelles, pour mieux régaler les pupilles affamées. Autant dire que l'expérience culinaire est à déguster, avec ou sans légumes à volonté ! Mais uniquement réservés aux gourmets patients !

En bref

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