Le début de l' ascension d'une œuvre cyclopéenne

Paru en 2019, ce premier tome des Montagnes Hallucinées  est venu inaugurer une nouvelle collection de chez Ki-oon consacré à l'œuvre du grand Howard Phillips Lovecraft et porté par le dessin immersif de Gou Tanabe. En cette rentrée 2020, c'est au tour de la fameuse nouvelle L'appel de Cthulhu d'avoir les honneurs de la collection. Choix logique pour l'un des titres les plus connus de l'un des grands maitres de l'épouvante horrifico-cosmique.  Mais revenons en arrière avec ce premier tome des Montagnes Hallucinées que je relis pour l'occasion. Des critiques assez dithyrambiques entourent ce premier volet... et à raison. Mais, pourtant, cela n'est pas une tâche aussi aisée que d'adapter du Lovecraft en bd. Alberto Breccia y avait fait honneur avec son album Les mythes de Cthulhu . On peut aussi citer Mike Mignola qui s'inspire aussi de Lovecraft pour parfumer l'atmosphère de son Hellboy  mais au fond , je pense que pas mal d'adaptations de Lovecraft dans le domaine graphique sont passées inaperçues. En tout cas, force est de constater que le génial mangaka Gou Tanabe parvint à s'approprier aisément cet univers lovecraftien, l'adaptant avec efficacité, finesse et une belle loyauté envers l'oeuvre originale. 

Lire une nouvelle de Lovecraft, c'est s'enfoncer progressivement dans la terreur et dans l'horreur indicible. Les Montagnes Hallucinées en est un exemple puisque cette nouvelle nous raconte l'enfer progressif dans lequel se retrouve plongé une expédition scientifique animée par la folle obsession , cette mortelle soif de découverte de la part de ces scientifiques, de ces chercheurs attirés par cette peur de l'inconnu au risque d'y perdre fatalement la raison. Gou Tanabe s'approprie aisément cet univers grâce à un style de dessin qui parvient à capter le mystère et la menace que suscite l'univers chtulien. Il suffit simplement de tourner une page , de tomber sur une double-planche sur une montagne noire démesurée ou sur le mirage d'une cité cyclopéenne pour se rendre compte de l'infime précision avec laquelle Gou Tanabe donne du coeur à cette adaptation.

Son style de dessin est magnifique. C'est un admirable jeu de contraste avec une superbe exploitation du noir et blanc manga qui tour -à-tour devient pesant, magnétique ou angoissant. Mettre en image les cauchemars lovecraftiens n'est pas une tâche facile, tout d'abord parce que les descriptions des monstres chtuliens sont illogiques d'un point de vue humain, propre à faire perdre la raison. Les envolées descriptifs de Lovecraft sur les Anciens, sur ses monstre, sont à la fois précises et confuses, de quoi assécher notre imaginaire. Et c'est juste remarquable de constater que Gou Tanabe parvient à rendre visible cet imaginaire. Il propose un degrés de visibilité qui n'entache aucunement l'illogisme des créatures lovecraftiennes. C'est remarquable car nous sommes de suite fascinés par l'apparence des Anciens quitte à rester figé devant une page pendant de longues et délicieuses secondes. Rien qu'au niveau affectif, le mangaka nous fait ressentir la fascination et la peur du voyage. Certains planches sont magnifiques sur l'immensité arctique avant que la peur nous étreint tout comme les scientifiques qui découvrent peu à peu l'abominable vérité. 

Au sujet des personnages, encore une fois, Gou Tanabe a su s'approprier parfaitement l'oeuvre de Lovecraft en proposant des visages soignés et surtout un regard enfiévré , un esprit scientifique qui semble avide de découverte à tel point que l'ombre de la folie hante ce même regard. C'est le cas notamment du professeur Lake, l'un des protagonistes majeurs de ce premier volume dont l'obsession devient une véritable condamnation. Personnellement, bien que j'adore l'œuvre de Lovecraft, j'ai toujours eu un peu de mal avec le discours un peu impersonnel des personnages, qui manque parfois d'un peu de nuances et demeure dans une optique rationnel. C'est souvent le même type de personnage dans les romans chtuliens : il s'agit de scientifiques, de chercheurs qui posent souvent un discours analytique , rationnel avant de sombrer dans la peur et la folie. On retrouve exactement ce même type de personnage dans l'adaptation de Mr Tanabe qui a donc respecté au détail près les voies très scientifiques et (malheureusement) parfois impersonnelles de ces protagonistes. Cela reste un léger détail devant la beauté épouvantable de ce voyage.

Toujours est t-il que ce premier tome est d'une efficacité redoutable. Alors que Gou Tanabe nous plonge dans les vastes espaces arctiques , nul doute que le second volet va s'avérer beaucoup plus sombre et claustrophobique avec la traversée des Montagnes Noires. 

Mention spéciale , forcément, pour la qualité éditoriale. Du simili-cuir avec des gravures tout en relief. C'est un bel objet aussi inquiétant que mystérieux.

En bref

Le réalisme, la précision et la remarquable utilisation du noir et blanc rendent justice à l'œuvre de Lovecraft à travers cette première adaptation de Gou Tanabe qui inaugure la collection consacrée à l'auteur de Providence. C'est magnifique, c'est puissant et c'est dépaysant. Un parfait titre qui peut également convenir à un public n'étant pas familier du manga en général.

9
Positif

Le dessin de Gou Tanabe, à même de rendre justice à l'œuvre originale tout en proposant une puissante et cauchemardesque vision de ces voyages infernaux.

Negatif

Des personnages au discours un peu impersonnel et manquant de nuances( ce qui était toutefois déjà présent dans les œuvres originales.)

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