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Critique de & - AND #1

par Tampopo24 le dim. 28 mars 2021 Staff

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Oser se lancer pour changer sa vie !

Mari Okazaki est une de ces autrices que j'avais eu le très grand plaisir de découvrir il y a une quinzaine d'années quand Akata travaillait en collaboration avec Delcourt et offrait des titres féminins vraiment puissants, malheureusement disparus aujourd'hui... J'avais eu un coup de foudre pour la narration visuelle très puissante de cette autrice et ses thématiques poétiques et malaisantes à la fois. Malheureusement, n'ayant pas eu le succès escompté, elle avait disparu de nos rayonnage. J'ai donc été plus que surprise et ravie quand je l'ai vue sur la liste des séries prévues par Kana pour sa nouvelle collection Life. Prévu à l'origine pour octobre dernier, la crise nous aura fait attendre jusqu'en mars de cette année. Mais ne dit-on pas qu'on garde le meilleur pour la fin ?

Pour ceux qui ne connaissent pas, Mari Okazaki est une autrice de shojo-josei, qui a débuté par de nombreuses histoires courtes à la fin des années 90, qui ont débarqué chez nous dans les années 2000. On a ainsi pu la lire dans Déclic amoureux, BX, Le cocon, Vague à l'âme ou encore Effleurer le ciel... Mais le tournant fut vraiment sa série Complément affectif (Suppli en vo) où déjà elle mettait en scène non plus des lycéens mais une femme active et ses amours compliqués en plus de sa quête d'émancipation. C'est encore à ce jour l'un des titres qui m'a le plus touchée dans ma vie de lectrice !

Dans & - And, série en 8 tomes qui date de 2010 au Japon, l'autrice a décidé de replonger dans cet univers impitoyable qu'est le monde du travail, mais exit les agences de pub de Complément affectif et place au monde médical, à la manucure et à l'informatique. La jeune héroïne d'And, Kaoru, est une secrétaire médicale qui semble faire son travail parce qu'il le faut mais qui cherche à côté une autre voie où s'épanouir. Alors un jour, sur un coup de tête, elle décide de développer son second travail, qu'elle faisait jusqu'alors en dilettante, en cherchant un endroit où faire des manucures à ses clients après le boulot.

Sur le papier, on pourrait se dire, bof encore une histoire de fille, en plus la manucure c'est vraiment pas mon truc... Mais And, c'est bien plus qu'une histoire de jeune active.

Kaoru est une jeune femme pétrie de complexes, mal dans sa peau, qui craint le contact physique mais aussi les engagements. Elle est seule et solitaire sous ses dehors de jolie fille facile d'accès. Mari Okazaki nous propose donc le récit d'une chrysalide qui cherche à devenir papillon mais qui va devoir lutter pour sortir de sa coquille.

Avec sa narration très particulière, j'ai d'emblée été emportée par l'histoire. Mari Okazaki aime les planches éclatées avec les pensées et les paroles qui s'envolent et se mélangent, créant une ambiance perchée, un peu étrange mais que je trouve très poétique. L'ambiance est poisseuse, lourde et malaisante. Chaque personnage cache des problèmes bien ancrés en lui qui le rendent dysfonctionnel et étrange alors qu'au premier abord il a l'air tout à fait normal et facilement abordable. Mais en fait ils portent tous un masque cachant leurs failles et faiblesses. Avec son trait très poétique, l'autrice cherche à montrer la noirceur derrière la jolie façade qu'ils ont érigée et c'est glaçant lorsque le masque se craquelle.

Alors non And n'est pas une lecture facile. C'est une lecture qui peut mettre mal à l'aise. L'héroïne est troublante. Elle peut faire coquille vide parfois ou petite fille trop naïve. Elle peut ainsi agacer. Moi, je me suis reconnue en elle dans ses difficultés à nouer des relations avec les autres. J'ai trouvé saisissant la façon très expressive et onirique dont la mangaka la mettait en scène. Son ami geek qu'elle recroise et qui va l'aider à trouver un local, a un petit côté stalker malaisant, mais c'est surtout un amoureux transi maladroit, à l'image de ses collaborateurs d'ailleurs qui sont soit très mal à l'aise avec les filles (moment tordant) soit très rentre dedans. Quant à ses collègues à l'hôpital, on a la secrétaire croqueuse d'hommes à première vue mais divorcée, ce qui je parie cache bien des fragilités ; un docteur très sûr de lui, Akasaka, mais qui s'inquiète énormément pour son collègue le docteur Yagai ; quant à ce dernier, c'est celui qui me fascine le plus, vu son lourd passif et son côté Docteur House. Alors oui, ce dernier a tout du type détestable qui se comporte mal avec les autres et les femmes en particulier, mais Mari Okazaki est plus fine que ça et il fera chavirer votre coeur pour peu que vous lui laissiez sa chance.

Tout ce groupe de personnages nous emporte dans une histoire mélangeant vie perso et vie pro dans un entrelacs comme seul sait le faire l'autrice. Ses dessins et sa narration en spirale participent énormément à ce sentiment de mélange voire de quasi fusion. On n'arrive pas à démêler l'un de l'autre. Les malaises ressentis dans sa vie perso influent sur sa vie pro et vice versa. Il faut plonger dans cette drôle d'ambiance pour se rendre compte de son côté étouffant et pourtant poignant. Les révélations sur le passé de Yagai prennent à la gorge, tout comme le malaise de Kaoru vis-à-vis des autres qui pourtant trouve une éclaircie, une percée, dans sa relation trouble avec ce docteur acariâtre.

Alors oui, on voit se dessiner le traditionnel triangle amoureux dont on n'est pas forcément féru ici, mais la puissance et la dramaturgie annoncées des sentiments est tellement belle que je n'en suis pas gênée pour une fois. Je suis juste prise par le flot de sentiments naissants chez une Kaoru novice en relation relation humaine qui est ainsi d'une extrême maladresse et commet bien des erreurs.

Avec une sensualité et poésie exceptionnelle (oui on sent que je suis archi fan), Mari Okazaki met tout ça en image et frappe le lecteur par des dessins immersifs et entêtants. Ce sont des entrelacs de fleurs et de poissons qui nous capturent et nous plongent dans les travers de l'histoire. Il y a une symbolique féminine très puissante aussi avec cette héroïne en difficulté face au contact et ces tâches rouge sang presque lorsqu'elle conte cela. Ça m'a frappée ! Je sais que les réfractaires à la narration "shojo" auront du mal face à ces planches où tout vole en tout sens car c'est complexe et potentiellement perturbant, moi je trouve cela poétique et magique, mais d'une puissance.

En bref

Comme prévu, j'ai donc eu un énorme coup de coeur lors de mes retrouvailles avec Mari Okazaki, une autrice phare de la littérature féminine pour moi, qui sait mettre en scène de très beaux personnages complexes et malaisants dans des histoires banales et puissantes à la fois, le tout dans un trait d'une belle sensualité. Retour plus que gagnant !

9
Positif

Un dessin sublime d'une rare sensualité et poésie

Une narration éclatée immersive et riche

Une histoire poignante sur les masques portés en société et l'envie de changer

Un récit mature

Des personnages déstabilisants qui prennent aux tripes et auxquels on peut s'identifier

Une belle dramaturgie

Une ambiance étrange et malaisante

Negatif

Une narration qui ne plaira pas à tout le monde

Une héroïne naïve clivante

Un docteur au comportement discutable

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Commentaires (2)
  • Tampopo24
    Staff

    Tu m'en vois plus que ravie tant j'aime l'autrice et j'aimerais la voir revenir chez nous avec d'autres séries encore :D

  • Auray
    Staff

    Je pense que je vais craquer alors