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Critique de Tomie

par Niwo le dim. 26 sept. 2021 Staff

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Mon nom est Tomie, tâche de t'en souvenir.

Le nom de Tomie... Deux origines distinctes, deux significations... Et pourtant, toujours cette femme qui marque la vie de ceux qu'elle rencontre. Cette femme qui n'en est pas une. Le nom de Tomie vient-il de l'araméen ou du grec ? En araméen, cela signifie "jumeau", un terme qui collerait parfaitement à notre protagoniste et antagoniste préférée. En effet, la façon dont elle réapparaît subitement, avec sa double-face effrayante pourrait s'apparenter à des jumelles.

Pour autant, au Japon, le prénom Tomie vient du grec "coupe, incision" en référence à la zone du bec qui tranche les aliments ou les proies de l'oiseau en question. Une femme libre telle que Tomie, énigmatique qui ne craint ni la mort ni les hommes, pourrait être considérée comme un être qui vole de ses propres ailes, et qui tranche tout sur son passage. Au final, qui peut prétendre avoir la réponse ? Tomie est Tomie. La définir avec assurance serait de la prétention. Elle incarne un être parfait, la tentation des hommes. Capable de manipuler et jeter sans aucun scrupule. Tuer ou provoquer la mort indirecte, sous son air impassible. On reste incapable de la définir et c'est ce qui la rend si intense. Elle s'émancipe de sa condition et devient une entité à part entière, bien plus convaincante que bon nombre de tueurs de films d'horreur.

Tomie représente la première œuvre de l'auteur. Le début de son rêve qui fera de lui le maître de l'horreur japonaise. Un maître qui a sublimé son Art au cours des années, mais qui gardera toujours un lien étroit avec son personnage de longue date. Tomie a été, à l'origine, publié en trois tomes qui ont été dessinés sur une quinzaine d'années. Elle représente une grande partie de la vie de Junji Ito en tant que mangaka, et c'est aussi ce qui crée son importance. Elle est l'origine de tout. Une entité aussi déroutante que délicieuse, une mise en lumière des faiblesses de l'homme.

Tomie a été découpée en morceaux et personne ne connaît le coupable. Une si jolie jeune fille, c'est terrible... Au premier abord, une histoire de meurtre comme il en existe beaucoup, une femme qui s'est trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais il n'en est rien... Tomie a été découpée par ses camarades et son professeur. Un meurtre macabre et pourtant, ils n'ont pas hésité. Comme si une force les poussait à faire de son corps une œuvre d'art. Tout est devenu étrange... Surtout lorsqu'elle est revenue à l'école comme si de rien était, bien vivante. 

Comment est-ce possible ? Ce n'est que le début de la longue histoire de Tomie, qui viendra perturber la vie de nombreux êtres inférieurs. Le premier chapitre suffit à nous plonger dans cette histoire, bien qu'on ne soit pas au bout de nos surprises.

Tomie va prendre possession de nombreuses personnes au fur et à mesure des chapitres. Elle se développe tel un cancer qui détruit ses proies. On se rendra très vite compte que le schéma se répète encore et encore, sans pour autant qu'on soit capable d'anticiper quoi que ce soit. Tomie est un récit unique et il serait prétentieux de vouloir tout connaître avant même que les événements arrivent.

Avant de continuer, je tiens à préciser que tout ce que je vais dire ici n'engage que moi. Qu'on se le dise, concernant Tomie, il y en a des choses à dire. Vous l'aurez déjà compris mais Tomie est une sorte d'entité, une femme à la beauté surhumaine qui envoûte ses cibles et les pousses dans leurs retranchements.

Personne ne sort indemne d'une rencontre avec Tomie, et sur certains aspects, elle fait penser au cancer. Des cellules qui se multiplient dans un espace restreint, à l'infini et détruisent le corps parfois avant même qu'on ait eu le temps de s'en rendre compte. Il y a, à mon sens, plusieurs aspects de l'œuvre qui poussent à cette réflexion : Tomie est un être qui résiste à de nombreux traitements, lorsque des médecins ont eu des cellules de Tomie entre les mains, ils ont constaté qu'il leur était impossible de la détruire complètement. Ils ont, par ailleurs, fait de nombreux tests qui s'apparentent à ce qu'on fait en chimiothérapie. Autre point, elle s'implante tel un virus à l'intérieur des gens, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune cellule d'origine et que leur existence ne soit plus qu'un lointain souvenir. Et même si nous n'avons aucune preuve que cette approche est la bonne, je trouve cette vision des choses très osée et quand j'y ai pensé, cela m'a encore plus fait apprécier l'œuvre.

Le rapport de Junji Ito à Tomie doit être profondément particulier. En effet, c'est sa première histoire, le premier manga qu'il ait écrit et aussi celui qui l'a suivi pendant plusieurs dizaines d'années. Et on le ressent pleinement à la lecture, on évolue avec l'auteur et Tomie, d'une certaine manière, également. Et c'est en partie cet aspect du titre qui en fait sa force, et chaque nouvelle lecture m'a permis de découvrir de nouveaux détails et cerner davantage à quel point ce lien est puissant. Alors, fondamentalement, on finit par s'y accrocher nous aussi, comme si on la suivait depuis toutes ces années. Ce qui, pour ma part, n'est pas le cas.

Toute cette dimension est complétée par le fait que Tomie subisse toujours divers maux, bien qu'elle en soit à l'origine. On est rapidement perturbés par ces sentiments naissants en nous : Tomie est-elle un bourreau ou une victime ? C'est une question difficile à répondre, puisqu'elle pousse des gens sans problèmes à devenir agresseurs. Elle les obsède et se nourrit de ces histoires, sans qu'on sache vraiment pourquoi.

Je n'irai pas dans les détails concernant la fin du titre pour des raisons de spoil évidentes, mais ce que vous devez savoir, c'est que c'est une fin ouverte. Le récit pourrait très bien continuer si Junji Ito en a l'envie un jour. Mais pour autant, cela reste une fin convenable comme on en attendrait d'un récit de ce type. Une fin mystérieuse et énigmatique, qui nous comble sans pour autant mettre un point final à l'histoire de Tomie. De toute façon, je ne pense pas qu'il soit possible d'y mettre fin définitivement, puisque Tomie n'a pas de fin, à mes yeux. C'est une entité, une femme, un être qui ne répond pas aux règles que nous impose la nature.

Ce qu'il faut retenir c'est que, peu importe à qui Tomie a affaire, elle saura s'adapter pour entrer dans leur tête et changer leur existence profonde. Et toute cette façon de procéder nous mènera à différentes manières d'aborder l'horreur et de la vivre.

Si vous avez l'occasion un jour de lire un titre de Junji Ito, vous vous rendrez très vite compte que sa manière de décrire et transformer l'horreur est complètement unique. Il peut développer plusieurs aspects horrifiques au sein d'un même chapitre et on sera toujours dans cette angoisse et cet attrait qui nous empêche de nous arrêter. Il va jouer sur des phobies qu'on peut avoir, qui vont nous mettre mal à l'aise... et cela ne s'arrête pas là. Comme on en a parlé au début de cette chronique, Junji Ito a touché à l'horreur très jeune et a sûrement connu des traumatismes à ce sujet, qui se ressentent dans ses histoires. 

Lorsqu'on découvre Junji Ito pour la première fois, jamais on ne penserait qu'il ferait des œuvres aussi sombres. Et surtout, étant donné qu'il a sa propre vision de l'horreur, on ne peut jamais anticiper ce qu'il mettra en avant dans un titre.

A cet instant précis, nous entamons le début d'une grande aventure. La découverte de ce mangaka sur plusieurs années. Tomie a beau être le commencement, elle ne s'éteindra jamais. D'autant plus lorsqu'on se rend compte de son ampleur. C'est flagrant lorsqu'on compare la qualité graphique entre le premier et dernier chapitre. Pour autant, dès le départ, cette ambiance si particulière nous prend aux tripes. Cela m'a beaucoup marqué, puisqu'il est rare de trouver des auteurs capables de créer des œuvres aussi uniques sans avoir besoin de planches aux traits fins et techniquement exécutés.

Junji Ito est unique et je remercie infiniment les éditions Mangetsu ainsi que tous les collaborateurs qui ont permis à cet ouvrage de sortir dans cette qualité.

En bref

Tomie est une très bonne entrée dans l'univers de Junji Ito, considéré comme le Maître de l'horreur japonaise. Cette édition intégrale est d'excellente facture et nous donne aisément envie de découvrir les autres œuvres de l'auteur, déjà disponibles ou à venir.

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Commentaires (1)
  • MassLunar
    Staff

    Superbe chronique Niwo ! Tu donnes envie de se laisser basculer dans l'univers horrifique de Junji Ito sans attendre !