Donnez-moi la liberté...

Quartier situé dans l'un des nombreux secteurs communautaires de Chicago, Cabrini-Green regroupait en son temps le plus grand ensemble de logements sociaux de la ville, une situation qui s'est dégradée au fil des années à cause de plusieurs facteurs compliquant les conditions de vie de ses résidents confrontés régulièrement à la violence et à la pauvreté. J'avoue que je ne sais pas vraiment ce qu'il en est aujourd'hui, juste que Cabrini-Green a commencé à être "réaménagé" à partir de 1995. Dans une vision alternative de l'Amérique, la description du Green faite par Frank Miller et Dave Gibbons dans la première mini-série Martha Washington publiée par Dark Horse en 1990 reste pessimiste et 1995 marque la date de la naissance de leur héroïne nommée d'après la toute première "First Lady" des Etats-Unis.

L'imposante intégrale The Life and times of Martha Washington in the twenty-first century traduite par Delcourt réunit toutes les aventures de Martha Washington, les trois mini-séries et les trois one-shots sortis à l'origine entre 1990 et 2007. Ces différentes étapes de la vie de Martha sont précédées par une préface de Frank Miller et entrecoupées des très intéressants commentaires de Dave Gibbons qui revient en détail sur la création de chaque histoire. Petite fille pauvre de Cabrini-Green, Martha Washington a échappé difficilement à un quotidien brutal (le premier chapitre ne manque pas de situations cruelles et sordides) pour devenir une guerrière dans des états de plus en plus désunis. 

Dans leur saga, Frank Miller et Dave Gibbons parlent de thèmes forts, le genre de sujets qui restent encore très actuels même plus de 30 ans après les débuts de Martha. Et ils le font en adoptant un point de vue satirique qui rend l'ensemble très divertissant (avec des idées aussi absurdes que savoureuses), rythmé et mouvementé et tout cela sans que le sarcasme ne diminue la portée du message. Martha Washington est à peine majeure quand Give me Liberty se termine et la courageuse jeune femme a déjà vu et vécu beaucoup de choses dans cette brillante mini-série.

J'ai survolé plusieurs critiques disant que la suite est plus inégale et ce n'est pas faux. Mais même si Give me Liberty reste le sommet de l'oeuvre de Miller et Gibbons, Martha Washington goes to war, Martha Washington saves the world et les autres récits contiennent des moments aussi épiques que délirants, en touchant à tous les genres (S.F., guerre, aventures, horreur, romance...) pour enrichir aussi bien cet univers que la vie de Martha. Graphiquement, c'est par contre un peu moins convaincant que la première mini-série, les expérimentations informatiques de la colorisation ne donnant pas toujours des résultats qui mettent en valeur les dessins de Dave Gibbons (et malgré l'élégance du trait, ce n'est parfois pas vraiment agréable pour les mirettes).

Martha Washington a donc tout vécu et si un pan de sa vie gardera une part de mystère, elle deviendra un symbole dans un dernier chapitre tardif, beau et touchant même si les leçons n'ont pas été retenues et qu'un nouveau cycle commence. Mais celle qui fut la petite fille de Cabrini-Green a transmis le flambeau...et il y a peut-être encore de l'espoir pour l'humanité...