Une tranche de vie teintée de fantastique avec le métier des amas en toile de fond

Dérives nous emmène en 2001, peu après l’attentat du 11 septembre sur les traces d’un journaliste en reportage. Ce dernier doit faire un article sur les amas, des pêcheuses japonaises qui, quasiment nues, plongent en apnée au fond de l’océan pour y pêcher des ormeaux, considérés comme le caviar de la mer.

C’est une tranche de vie que nous offre l’auteur avec en toile de fond la tradition ancestrale autour des amas. En rencontrant certaines d’entre elles, le journaliste et son stagiaire vont écouter les anecdotes d’histoires de pêche, évidemment, mais aussi l’histoire d’un village et ses habitants, avec des amitiés, des amours mais aussi des rivalités et des jalousies. Au fil des pages, le récit captive, intrigue, en entremêlant réalité et fantasme… Les premières pages commencent par sensibiliser le lecteur au métier, ses dangers, mais aussi le respect de la nature par les amas qui souffre de la concurrence par les braconniers et la surpêche… La partie suivante décrit une sorte d’aparté crue, sur le stagiaire qui se retrouve abusé sexuellement par l’une des femmes pendant son sommeil, je n’ai pas compris vraiment la place de cette scène au milieu du reste qui peut déranger certains lecteurs…. Ensuite, nous écoutons avec attention le récit de Fujiko qui évoque le passé et notamment des histoires autour d’une ama particulièrement douée, Kazué, mystérieusement disparue…

Le récit est prenant, mystérieux, et pique la curiosité très rapidement. On suit avec attention l’histoire de ces pêcheuses et l’évolution de leur relation au cours des années. On comprend peu à peu les rivalités, les tensions et les histoires que tout cela crée. On comprend peu à peu comment cela va se finir. L’auteur nous livre une jolie conclusion, dans le respect et le fantastique, une inspiration issue directement, je pense, d’une estampe japonaise très connue autour des amas.

Côté dessins, je ne suis pas particulièrement friand de la patte graphique de l’auteur, notamment son travail sur les yeux, mais il faut avouer qu’il maîtrise le dessin des corps humains, comme les muscles par exemple avec une bonne gestion des ombres. Les décors sont peux nombreux, simplement présents parfois pour situer une action et restent relativement simplistes. La colorisation est elle aussi très particulière. L’auteur travaille sur les nuances et on retrouve des passages dans des nuances de vert uniquement par exemple, d’autres dans des nuances oranger, pour la fin de journée, ou encore le violet ou le bleu pour la nuit ou les profondeurs de la mer. Seul le rouge reste utilisé essentiellement pour le sang afin d’appuyer les scènes dramatiques…

La couverture est assez déstabilisante et intrigue un peu mais je trouve ce choix dommage car elle en dévoile trop ou pas assez et n’est pas à l’image des trois-quarts du récit… Cette tranche de vie m’a permis de découvrir un métier que je ne connaissais pas, un métier difficile, respectable et en voie de disparition. Autour de cela, l’auteur a construit son récit autour des relations humaines et d’un mystère un peu fantastique en mêlant divers éléments qui prendront forme en fin d’album. Le rythme est bon, l’histoire entraînante et haletante et on prend beaucoup de plaisir à la lecture. Seul bémol, une scène un peu crue en début d’album qui je pense pouvait facilement être évitée sans dénaturer le travail de l’auteur. Une jolie surprise à ne pas mettre entre toutes les mains.