L'impossible deuil d'une mère

Mana Books m'a plutôt habitué à ses titres complètement barrés et WTF, mais pas du tout à l'histoire sensible que j'allais découvrir ici. Merci pour ce beau moment.

Adapté un roman à succès publié en ligne, puis transformé en drama pour la télé, Mon fils semble avoir été réincarné... permet la rencontre de deux belles artistes : Kanemoto au scénario, qui a composée cette histoire en 2018, et Hikari Shibata qui a d'abord publié dans le célèbre magazine josei Feel Young. De leur rencontre nait une histoire tendre et sensible qui ne peut laisser indifférent.

Suite au décès tragique de son fils, une mère reprend contact avec un camarade de classe du lycée qui était autrefois passionné de lecture, en qui elle voit une source d'information pour l'aider à retrouver son fils qu'elle pense être parti se réincarner dans un autre monde, comme dans les romans qu'il aimait tant lire. 

C'est sur ce scénario assez dingue que commence l'histoire. On aurait pu s'attendre à une comédie tellement s'est barré et tellement les autrices jouent sur les extrêmes avec des héros à l'antithèse l'un de l'autre : l'une ancienne idole du lycée et l'autre otaku confirmé. Mais au final, c'est une histoire fort sensible qui se déploie et s'écrit sous nos yeux.

J'ai de suite été séduite par la détresse de cette mère qui se réfugie dans une idée totalement rocambolesque pour survivre au décès de son enfant, qu'elle a eu très jeune avant même de se trouver et qui semble l'avoir enfermée dans un mariage dont elle ne voulait peut-être pas tant que ça. C'est une histoire très actuelle et très humaine que nous content les autrices et le trait de Shibata inspiré de son expérience dans le Feel Young n'y est pas pour rien. On sent une grande sensibilité derrière la banalité et l'humour involontaire de cette histoire. C'est totalement étrange et décalé et pourtant cela fonctionne parce que sa détresse cachée nous prend à la gorge.

Avec un ton d'abord assez humoristique, puisque Mio cherche comment se tuer pour rejoindre son fils dans un autre monde, l'histoire démarre rapidement. On s'attache vite à elle et au singulier Dobara, employé de 35 ans toujours célibataire qui vit lui aussi dans son monde de fiction et n'aime pas trop la réalité. Il est facile de s'identifier à eux sur certains points quand on est aussi réservé et que la société nous met à mal, la preuve que c'est bien écrit par les autrices. On se plaît donc à les suivre dans leurs recherches documentaires sur ces isekai que le fils de Mio aimait tant lire. C'est drôle et cocasse de les voir décortiquer le genre et de suivre leurs recherches chez Dobara, sur internet, dans les bibliothèques / librairies. 

Mais c'est surtout leur rapprochement et l'évolution de leur relation que j'ai trouvé bien faite. Dans la mélancolie ambiante des scènes qu'ils composent, on voit peu à peu naître quelque chose entre eux : une reconnaissance, une acceptation. Mio n'est pas la fille imbue d'elle-même que Dobara imaginait. Dobara a cette liberté que Mio qui envie. Chacun voit en l'autre quelque chose qu'il désirerait être mais aussi une fragilité qu'il a envie d'épauler. C'est émouvant.

Alors la faille, c'est qu'on ne sait pas trop où cela peut nous mener car ils vivent un peu beaucoup dans leur bulle, et que quand celle-ci sera percée, notamment par les proches de Mio, cela pourrait être horrible. Mais les autrices s'en étant sorties avec brio pour nous conter cette histoire sensible d'une mère ne parvenant pas à faire son deuil, je ne doute pas qu'elles sauront ne pas tomber dans les excès et les clichés. J'ai envie d'y croire.