Quand la passion vous redonne vie !
Je suis le travail de John Tarachine depuis son premier titre proposé par Akata : Goodnight I love you car j'aime les ambiances que l'autrice cherche à nous communiquer à travers ses histoires de transmissions entre générations. Je suis donc ravie de pouvoir avoir entre les mains son tout dernier récit : Ocean Rush qui promet encore une bouffée d'émotion brute.
Dans chacune de oeuvres que j'ai lu de celle-ci, j'ai vraiment aimé voir son trait et ses messages évoluer et se transformer pour correspondre à l'histoire contée. Ici, en nous plongeant aux côtés d'une mamie qui vient de perdre son époux et qui se voit offrir un second souffle dans la vie, elle nous tourne du côté du cinéma, ce qui transforme son trait de manière frappante. Dans Goodnight I love you, elle avait un dessin très proche du croquis de sketch book ; dans La sorcière du château aux chardons, elle semblait avoir emprunté au fantastique d'une Akie Irie dans Le monde de Ran ; désormais elle présente un trait beaucoup plus posé, plus fin, plus actuel aussi qui n'est pas sans rappeler celui de Yūki Kamatani (Eclat(s) d'âme, Nos c(h)oeurs évanescents, Hiraeth) sans sa folle poésie. Ses compositions sont surtout empreintes ici d'un oeil cinématographique poignant et percutant.
Du fait de son thème, beaucoup ont comparé Ocean Rush à BL Metamorphose où il est aussi question de la rencontre d'une grand-mère et d'une jeune femme qui vont partager la même passion. Pourtant en dehors de ce thème commun, je n'ai pas trouvé beaucoup de ressemblances entre les deux oeuvres. Le ton, l'ambiance, le rythme, les dessins, tout cela diffère et pour ma part, j'ai préféré ceux de John Tarachine où j'ai eu l'impression de sentir plus de sincérité.
J'ai aimé faire la rencontre d'Umiko, cette mamie qui vient de perdre son mari et qui réalise ce que ça va être de vivre seule. Par le biais du cinéma, passion commune avec son mari décédé, elle va se réveiller et reprendre sa vie en main plutôt que de se contenter d'être "une mamie", ce qui ne lui convient pas. A la faveur d'une rencontre comme seul le destin peut en mettre sur notre chemin, elle va croiser Kai, un garçon aux allures androgynes passionné de cinéma lui aussi, qui va à la fac malgré l'avis contraire de ses parents, et qui semble briller au milieu de toute cette nonchalance. Kai reste encore très mystérieux, l'autrice cultive le secret autour de lui, mais ce sera aussi l'élément déclencheur de cette histoire et en quelque sorte le génie de la lampe pour Umiko, bref son guide dans cette nouvelle vie.
Malgré un ton en tantinet morose, j'ai aimé les touches d'humour glissées dans l'histoire qui vont faire avancer celle-ci. On part d'un postulat un peu lourd avec ce veuvage d'un côté et cette pression familiale de l'autre, pourtant la rencontre des deux est lumineuse. L'autrice n'en fait pas des tonnes, elle est juste dans le parcours de chacun qu'elle décrit. Elle montre bien la difficulté pour Umiko d'oser reprendre sa vie en main, d'aller vers les autres, de vivre sa passion et surtout de reprendre des études, ce qu'on pense réservé aux jeunes. Elle ne balaye pas plus rapidement le parcours de vie de Kai et ce qu'il a dû vivre, ce qu'il a dû affronter ou sacrifier pour arriver là. Aucun des deux n'a eu une vie facile, mais c'est ce qui va nourrir leur art.
Cet art, cette passion commune est également ce qui a nourri mon intérêt pour cette oeuvre. On sent la passion de l'autrice même pour ce médium qu'elle a autrefois étudié et vers lequel elle est revenue ici. Dans les compositions des pages mais aussi de l'histoire, on sent le poids du regard de la caméra. Il y a un vibrant hommage à l'importance de capturer des moments, à l'envie de raconter des histoires, que ce soit des choses totalement fictives et inventées ou bien des moments du quotidien qu'on va sublimer. L'autrice nous montre la force et la richesse de cet art mais aussi son exigence derrière la facilité et la difficulté à le faire vivre. J'ai énormément aimé sa matérialisation à travers ces vagues, cette écume, qui vont peu à peu emporter Umiko et Kai sur leur passage pour fixer sur la pellicule le résultat de leur rencontre.
Il y aurait encore énormément à dire sur ce titre qui évoque le deuil, le veuvage, la vie en solo, la condition des retraités et personnes âgées au Japon, les études à la fac, la place de l'art dans la société japonaise, le poids de certaines famille pour que leurs enfants aient un "bon métier", la reprise d'étude, le jeunisme, et j'en passe car l'autrice inclut tout cela de manière archi fluide à son histoire pour en faire un tout vraiment actuel et riche en réflexions.
En bref
J'avais beaucoup aimé BL Metamorphose au début pour le duo formé mais la passion commune aux deux n'avait été qu'un prétexte et s'était vite essoufflée. J'ai espoir que ce ne soit pas le cas d'Ocean Rush où on sent une passion vibrante de l'autrice pour le cinéma et une utilisation de celui-ci pour cimenter la relation et la destinée de ses personnages. Reprendre sa vie en main, changer de voie, oser suivre sa passion n'ont rien de facile et l'autrice nous le conte avec émotion et sincérité dans un titre mélancolique, douloureux même parfois, mais inspiré.
Positif
Une autrice en perpétuelle évolution
Un récit âpre et poignant
Un duo émouvant
Une rencontre autour de l'art
Un oeil cinématographique
Des thèmes fort sur le deuil, la vieillesse, l'amitié, l'art
Negatif
Une comparaison évidente avec BL Metamorphose
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