Trous au coeur

Découverte en 2018 avec le lumineux Happy Birthday que j'avais beaucoup aimé, je me suis laissée tenter ensuite par le jeune photographe de Labradorescence mais il m'y a manqué le petit plus. Ayant cependant beaucoup aimé l'ambiance graphique des titres de YMZ, j'ai été ravie de la voir de retour au catalogue d'Hana cette année.

Comme cela avait été le cas dans ses précédents travaux, l'autrice revient avec une nouvelle histoire douce amère et des personnages tout en nuances assez complexes à suivre. Sôji et Mika se rencontrent à l'heure de leur adolescence et se mettent à vivre une relation aussi étrange que lâche et liante pourtant, mais rien n'est jamais dit. Dans ce singulier entre deux, les deux jeunes hommes vont grandir et se retrouver régulièrement sans jamais pourtant affronter ce qui les a poussés dans cette relation bien particulière.

J'ai beaucoup aimé à nouveau la singularité des dessins de l'autrice qui ont un rendu proche du crayonné qui m'interpelle et me rappelle l'âpreté de l'histoire qu'elle nous compte. Je suis assez fan du rendu des noirs et des compositions de certaines planches rappelant les drames de l'époque du gekiga comme chez Kazuo Kamimura. Il y a quelque chose de définitivement mélancolique dans son trait qui remplace souvent les dialogues absents entre les deux héros qui préfèrent dialoguer avec eux-mêmes dans leur tête que de se parler réellement. Cependant ce huis clos interne si beau et émouvant à voir a aussi certaines déconvenues à être lu.

En effet, l'histoire de Sôji et Mika semble particulièrement étrange et n'a rien de simple à être lue. En ne s'avouant jamais leurs sentiments, en vivant librement, en ne connaissant pas grand-chose de leur vie réciproque, ils sont dans une relation qui n'en est pas une au sens classique du terme. Certes, ils trouvent régulièrement du réconfort dans les bras l'un de l'autre après la toxicité qu'ils ressentent dans leurs familles réciproques, mais au fond on sent combien leur âme est également insatisfaite. Il y a une certaine beauté dans ce drame mais également le sentiment que rien n'est vraiment abouti à cause de ce manque de définition, ce qui est assez étrange à lire.

Suivre un couple qui n'en est pas un et qui ne communique pas, cela ne rend pas la lecture et la compréhension de l'histoire aisées. Peut-être est-ce parce que moi-même j'aime que les choses soient dites, j'aime quand les choses sont compréhensibles, que j'ai ressenti une telle frustration à lire de bout en bout un titre où ce n'est jamais vraiment le cas. A aucun moment les héros ne sortent vraiment de ce schéma d'indéfini et c'est très frustrant, car on a l'impression d'être de bout en bout en face d'un brouillon. Alors certes, je ne vais pas mentir, il y a une légère évolution au fil de l'histoire grâce à des conflits qui viennent les secouer un peu mais on reste quand même largement dans ce flou qu'ils ont toujours connu et qui semble les rassurer à sa façon. Ce n'est pas ainsi que j'imagine les relations pour ma part et cela m'a perturbée.

Avoir un trou dans le coeur c'est douloureux. Trouver celui qui aide à le combler, cela soulage un temps. Ne pas lui dire ce qu'il représente pour nous, n'est-ce pas aussi douloureux pourtant ? C'est autour de ces questions que l'histoire va tourner et nous torturer, nous faisant assister aux valses hésitations des héros qui tentent de se guérir seuls sans y parvenir alors que ce serait tellement plus simple à deux. Les relations à la japonaise sans rien se dire, c'est beau et poignant sur le papier, mais dans la réalité, ça fonctionne mal et c'est ce qui se passe ici, je trouve, d'où l'entre deux que j'ai en permanence ressenti.