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Critique de La cure

par ginevra le sam. 3 juin 2023 Staff

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Un catalogue hallucinant des thérapies de conversion

C'est l'histoire d'un gamin brésilien, né en 1960, dont les parents, Mara et Galdino, craignent qu'il ne soit homosexuel. À la suite de ce constat alarmant pour l'époque, le pauvre Acacio va passer de cure en cure pour guérir sa "maladie" avec les soutiens des églises, des médecins et des psychologues. Au début, il subit ces mauvais traitements, puis il y adhère et semble enfin guéri puisqu'il se marie et a des enfants. Vraie "guérison" ou soumission aux règles d'une société réprimant l'homosexualité?

Ce livre est un hallucinant catalogue des tortures infligées à des enfants ou adolescents pour les "guérir" de la maladie honteuse qu'était l'homosexualité à cette période. Le père d'Acacio résume bien son horreur de cette possible évolution de son fils par ce commentaire : "Dans ma famille, il y a déjà eu un voleur et une putain, mais jamais de pédale."

J'ai été sidérée à l'idée qu'une mère puisse adhérer à un "traitement médical" basé sur un mélange de récompenses et punitions. Des jetons bleus pour récompenser un comportement masculin et roses pour marquer un comportement féminin selon les normes de l'époque comme jouer aux cow-boys ou à la dinette, par exemple. Chaque semaine, le compte des jetons est soit récompensé par des gâteries (gâteaux ou jouets), soit puni par une fessée avec un chausson. Cela donne une double page totalement folle où les 2 mêmes cases sont répétées 27 fois pour bien montrer la démesure de la punition recommandée par le psychologue.

Presque 10 ans plus tard, toujours en pleine dictature militaire, Acacio est adolescent quand son père le rosse pour l'avoir découvert se masturbant sur une revue de boxeurs. La gradation des "hontes" est montrée par la phrase de la mère : "J'ai dû raconter que ton père t'avait surpris avec de la drogue." Suit alors une 2e cure où Acacio doit prendre un cachet puis se masturber sur une photo d'homme. L'association des deux le fait vomir. Le médecin luit fait des injections de testostérone et visionner des vidéos pornos. C'est aussi la période où son père l'emmène au bordel pour le déniaiser. Là encore, Mário César crée une double page saisissante en transformant son personnage en "chien de Pavlov" consommant des croquettes en forme de femmes nues.

On retrouve la famille au bal de fin d'études secondaires où les familles échangent des propos acides. Acacio y danse comme les autres garçons, mais manque de cogner un homme qui l'a pris pour un homosexuel. Il est tellement dans le déni (sans doute suite à ses cures!) qu'il va se marier à la fin de ses études en fac, malgré l'attirance qu'il ressent pour son ami Juliano. À la suite d'une expérience sexuelle avec un homme, il va de lui-même se soumettre à un traitement par électrochocs. Traitement si puissant qu'il a des pertes passagères de mémoire après.

Malgré son mariage avec Celia, Acacio continue d'être attiré par les hommes et a une aventure avec un collègue de travail. Mara est toujours aussi fermée dans modèle antique au point de craindre que son petit-fils Davi ne devienne homosexuel parce qu'il cuisine avec sa mère! Son collègue Agenor est licencié pour comportement inappropriés. Les réflexions d'autres collègues affolent Acacio par leur dureté genre "Si c'était moi, je fusillerais ces pédés sur la place publique!" Celia met au monde une petite fille et obtient son diplôme d'odontologie. Finalement, c'est elle qui le pousse à s'accepter et lui propose le divorce (encore une nouvelle honte pour ses parents si religieux).

Acacio fait une dernière tentative de normalisation en se soumettant à un exorcisme prodigué par un pasteur d'une église évangélique. Mais il se rend compte qu'il s'est fait avoir quand il voit "son" exorciste payer un prostitué. Alors qu'il noie sa désillusion dans un bar, il voit débarquer un travesti qui vit librement et joyeusement son "anormalité" malgré le danger de se faire tabasser. Et c'est enfin l'acceptation de qui il est pour Acacio.

Je me rends compte que j'ai fait plus que résumer le livre. Mais ces thérapies de conversion ont existé dans tous les pays du monde. Elles ne sont interdites en France que depuis janvier 2022. L'homosexualité y a été pénalisée jusqu'en août 1982 et a été rayée des maladies mentales en juin 1981 (la transidentité a dû attendre 2010). Je connaissais ces méthodes par un reportage d'ARTE dans lequel j'avais découvert ce qu'avaient subi de nombreux adolescents américains ou européens via leurs témoignages : https://www.arte.tv/fr/videos/086135-000-A/homotherapies-conversion-forcee/ (merci soyouz pour le lien). D'où mon intérêt pour le livre de Mário César. Je me demande si certains passages du livre ne sont pas autobiographiques.

J'ai bien aimé le traitement graphique de l'album avec ses personnages expressifs : la tristesse quasi permanente d'Acacio est bien visible. La colorisation est uniquement en tons de bleus et roses selon les critères antiques qui veulent que l'on associe le bleu au masculin et le rose au féminin. Acacio oscille selon les périodes entre ces deux couleurs et les porte souvent ensemble. Cela rend supportable les actes de torture qu'il subit (il faut bien les appeler ainsi).

Un livre important et intéressant que l'on fasse partie de la communauté LGBTQ+ ou non. Un témoignage fort contre le rejet des autres.

En bref

Un témoignage fort sur les abominables thérapies de conversion qui continuent à sévir dans de nombreux pays et n'ont disparu en France qu'en 2022. "Guérir" de son homosexualité est la quête impossible du personnage central. La colorisation en bleu et rose adoucit certaines scènes et aide à comprendre ses états d'âme. Un livre à découvrir au plus vite.

9
Positif

témoignage fort et poignant

personnages expressifs

colorisation en bleu et rose accentuant le propos

Negatif

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