Journal d'une dilettante

Malgré sa faible présence chez nous, Fumiko Takano a une certaine aura dans le cercle des lecteurs s'intéressant à autre chose que les mangas mainstream. J'ai donc toujours été intriguée par son travail. Et si ma rencontre avec elle sur Le Livre jaune avait été ratée, c'est avec bonheur que j'ai tenté de recroiser sa route sur Miss Ruki.

Objet tout en couleur édité par Le Lézard noir, on les remercie pour toujours sortir des sentiers battus !, Miss Ruki regroupe un ensemble de scénettes au format yonkoma (lecture de cases de haut en bas sur 2 colonnes) sur une double page en général, provenant de la publication mensuelle des aventures de Ruki et son amie Ecchan au tournant des années 80-90. Un format singulier qui pourra cliver mais qui m'a énormément plu.

Prévus pour être des petits instants de vie témoin d'une époque qui change, ces courts chapitres ne mettent rien d'extraordinaire en scène et pourtant ils font mouche. Ils croquent avec saveur et impertinence, cocasserie et humour le quotidien de deux jeunes actives japonaises célibataires entre 1988 et 1992, tandis que le Japon connaît son envol puis l'explosion de sa première bulle. C'est simple, c'est banal et du coup c'est universel et sensible. On peut se reconnaître facile dans les traits taillés à la serpe par l'autrice, du moins, nous les femmes.

En effet, ce josei au trait et à la démarche fort simple, nous propose d'entrer dans le quotidien de Ruki et Ecchan deux femmes comme nous. On découvre leur façon d'envisager le travail, par exemple Ruki travaille depuis chez elle et donne tout pour finir ses taches en une semaine afin d'avoir le reste du mois libre pour elle. C'est un trait forci de notre rapport au travail mais assez actuel, je trouve, avec le télétravail et la demande des travailleurs de s'organiser à leur convenance. On découvre aussi leurs loisirs : la lecture pour Ruki, le shopping pour Ecchan. On s'amuse de leurs relations à la romance, avec ce maladroit réparateur de vélo pour Ruki, avec ce jeune collègue sur lequel elle fantasme pour Ecchan. C'est drôle, c'est frais, ça donne le sourire.

Le quotidien que capture Fumiko Takano est celui d'une époque lointaine, celui de mon enfance personnellement, donc j'ai aimé y retrouver certains décors, certaines habitudes disparues. En plus, elle nous fait subtilement sentir les évolutions d'alors, d'abord avec des héroïnes un peu tout feu tout flamme, dépensière, à la vie facile ; puis avec des héroïnes qui font un peu plus attention à leurs sous, qui ont du mal à boucler les fins de mois, à s'acheter à manger... Ce n'est rien de très vif, de très marquant, mais on comprend le message sous-jacent.

Je reconnais que l'expérience était singulière, mais j'ai aimé me glisser dans le quotidien charmant et pétillant, voire truculent, de ces deux jeunes femmes. Je me suis reconnues dans certains de leurs traits. J'ai aimé que ce soit daté. Je pense que les lecteurs et lectrices de l'époque devaient apprécier de les retrouver ainsi chaque mois car on développe une réelle familiarité avec elles, en entrant ainsi, aussi régulièrement, dans leur petit quotidien fait des bourdes de Ruki et des achats de vêtements compulsifs d'Ecchan. Leur amitié réchauffe le coeur.

Cependant, je reconnais que la forme et le trait de l'autrice peuvent être clivants. Tout le monde n'aimera pas, ou plutôt n'attendra pas d'une mangaka, un trait aussi cartoonesque rappelant les Peanuts de Charles M. Schulz et sûrement d'autres auteurs américains dont je n'ai pas la référence ^^! Mais ne vous arrêtez pas à ça, car c'est vraiment un tranche de vie qui vaut le détour quand on aime ce style d'histoires et l'éditeur accompagne à merveille l'oeuvre en plus dans ses textes en 4e de couverture et postface, dans sa date de chaque histoire.