Un reportage dessiné passionnant et instructif

Le dessinateur-reporter Nicolas Wild est allé en Russie en juin 2022 à la demande de Quanvas, compagnie qui produit des bandes dessinées de non fiction basée en Inde. Il a rencontré des personnalités militantes ou des personnes croisées dans la rue, aux opinions bien tranchées quelles qu'elles soient. Avec son interprète (présentée avec une tête de chat) il est même allé en Bachkirie où il a été filmé dans un échange avec les acteurs du théâtre bachkir d'Oufa… échange resté très neutre en tournant autour de la culture locale, mais il a été autorisé à visiter une grotte ornée de peintures rupestres.

C'est un album très intéressant où l'auteur relate ses diverses rencontres. Certaines ne m'ont pas vraiment surprise au vu de reportages réalisés depuis le début de la guerre en Ukraine, mais d'autres m'ont sidérée… et je ne suis pas sûre que les personnes rencontrées alors soient toujours en liberté un an après.

Il y a ce représentant de l'opposition à la Douma de Saint-Pétersbourg (parlement local) qui explique une technique pour lui faire perdre des voix : il y a eu 2 autres candidats portant le même nom que lui et lui ressemblant. Une technique surprenante!

Plusieurs personnes croisées dans la rue expriment le regret de l'URSS où tous ne formaient qu'un seul peuple. J'ai été étonnée d'apprendre que de nombreux russes en veulent à Yeltsin et Gorbatchev qu'ils tiennent pour responsables du délabrement du pays bien qu'ayant vu un documentaire sur les derniers jours de ce dernier chef d'État.

Il y a les opposants comme la vieille peintre Elena qui est passé des portraits à des tableaux manifestes contre la guerre. Et aussi Anna qui est une militante féministe et gay de Saint-Pétersbourg et qui organise des visites de la ville moins conventionnelles que les autres. La star du rock Iouri Chevtchouk ose dire tout haut des choses que beaucoup préfèrent taire et est interdit de concerts; il explique que la vision occidentale d'une Russie en partie européenne et en partie asiatique est fausse. L'avocat Daniel Berman qui tente de défendre des prisonniers politiques et craint de les rejoindre bientôt.

Mais il y a aussi Louba, adolescente nourrie aux préceptes nationaux dans un camp de vacances (?) en Crimée et est très fière d'avoir appris à démonter et remonter une kalachnikov en 35 secondes! Ou un officier qui a survécu à la guerre en Afghanistan et dont l'obsession est de ramener ceux qui sont encore là-bas en Russie même s'ils ont refait leur vie, mais qui explique que peu de soldats étaient originaires de Moscou. Il y a la visite au parc des patriotes où l'auteur croise un groupe d'adolescents en T-shirts rouges faisant partie d'un mouvement patriotique (de quoi rappeler à la fois les jeunesses hitlériennes, la ballila du Duce en Italie ou les jeunesses communistes)… un éternel recommencement!

Grâce à Rakesh, indien marie avec une russe, j'ai découvert les relations privilégiées entre les 2 pays débutées à l'époque soviétique.

Cela donne un reportage dessiné particulièrement intéressant dont j'espère qu'il ne portera pas plus de problèmes qu'ils n'en ont actuellement à ceux et celles que Nicolas Wild a rencontré… Je ne me fais pas d'illusions sur le fait que cet album sera décortiqué par les russes vivant en France.

Un superbe documentaire qui mérite d'être découvert par un maximum de personnes pour ne pas se contenter des infos que nous recevons au compte-gouttes… Je ne suis pas sûre que Nicolas Wild aura le droit de retourner en Russie bientôt bien que son récit soit parfaitement honnête et neutre autant que possible.