Une balade à vélos en compagnie de sorcières modernes

Crée en janvier 2024, le label Combo est un label graphique young-adult crée par les éditions Dargaud qui vise à redonner un peu de pep's à la fiction populaire, à la bd de genre tout en offrant la plume et le crayon à de nouveaux auteurs de bd bien ancrés dans les problématiques générationnelles actuelles. Découverte de ce label protéiforme avec Majo No Michi, petite bd young-adult à la croisée du manga, de l'animation et de la bd franco-belge. 

Dessinée et écrite par Tony Concrete, un jeune auteur de bd passionné de vélo et de manga, Majo No Michi est un titre un peu curieux qui va nous parler de magie sans avoir forcément recours à du merveilleux ou tout du moins d'une manière plus naturelle et contemplative , qui va surtout nous parler de jeunes adultes un peu perdus à l'aube de leurs avenirs et qui va également aborder l'écologie dans une vision du ressenti.

Cette petite bd en deux tomes s'ouvre d'abord sur des pages couleurs lumineuses qui mettent en case un groupe de manifestants venus protester contre l'implantation d'une autoroute sous le regard renfrogné de Vera, une sorcière du monde moderne.

Par la suite, c'est dans un noir et blanc aérien et tout aussi lumineux que nous découvrons le quotidien de Vera et de sa colocataire et amie Mary, deux sorcières qui tentent de mettre fin aux énergies négatives des Temples de béton, des constructions de métal comme un bunker dans ce premier tome qui provoque des effets néfastes sur l'environnement et l'esprit. Mais outre ce combat permanent, nos deux jeunes sorcières sont aussi des jeunes femmes bien ancrées dans le réel.

Mary est passionnée par les jeux vidéos et travaille comme livreuse au détriment de son job de sorcière tandis que Vera est souvent dans une situation et n'a ni l'envie ni la volonté de trouver un emploi préférant de loin enquêter sur les Temples de Béton. Au fait, petite précision quand à leur condition de sorcières actuelles, c'est sur des vélos et non des balais que nos jeunes héroïnes parcourent le monde, un monde qui se limite surtout à Strasbourg et son environnement.

Le dessinateur, lui-même fan de vélo, met en valeur ce moyen de locomotion et délivre une véritable balade que ce soit dans Strasbourg ou ses alentours tout comme dans la vie de ces héroines. On relève un style très aérien, très léger dans la narration de cette bd qui rappelle le cinéma d'animation japonais style Makoto Shinkai que le dessinateur avec un style de bd jeunesse à la française. Il y a donc beaucoup de vivacité et d'énergie dans ce premier tome qui est aussi atténué par des problématiques bien ancrées comme la difficulté de trouver un travail, le doute , l'insertion dans le monde adulte. En cela, Majo No Michi est un titre qui peut facilement parler à un lectorat plus jeune adulte davantage plus concerné par ces problématiques.

Mais la magie dans tout cela ? Majo no Michi n' utilise pas de grands effets de merveilleux. Au contraire, la sorcellerie est avant tout ritualisée, tracée au sol par des figures symboliques. Tony Concrete aborde avec subtilité la magie même si le message écologique est tout de même très convenue avec le métal et les constructions perçus comme énergie néfaste sur le monde. Nous apprécierons tout de même des jolies passages, notamment lorsque nos deux héroines entament un rituel pour redonner vie à des pierres d'une cathédrale.

La magie est à la fois implicite à tel point que le lecteur se demande si elle provoque des effets mais elle est aussi essentielle pour nos deux héroïnes qui ne cherchent pas à nous faire croire en la magie mais qui l'exercent à leur manière, tout simplement.

A noter que le thème de la magie et de la sorcellerie est aussi ancré dans une dimension plus féministe et un peu rebelle comme l'a souligné Mona Cholet dans son fameux essai ce qui peut peut-être expliqué le ton de révolte latent chez Vera qui n'arrive (ou ne souhaite pas ) s'insérer dans un monde trop conforme ou réducteur.

Beaucoup de propos  tourbillonnent sur la même énergie qu'un vélo lancé en pleine descente mais cela ne fait pas de cette bd une totale réussite et ce malgré ses qualités graphiques évidentes. Mention spéciale aux environnements directement puisés dans la ville de Strasbourg et de ses alentours , où nous switchons agréablement entre ville et campagne. 

Ainsi, cette première bd de Tony Concrete pèche un peu par sa narration qui bifurque sur différents chemins sans totalement s'y arrêter, qui se perd surtout dans le quotidien problématique de Vera , qui aborde la magie d'une manière beaucoup trop implicite pour convaincre totalement. Ainsi, mis à part une angoisse, nous ne savons pas trop quels effets néfastes entraine ce temple de béton.  L'idée d'une malédiction est soulevée de la part de Mary quand aux difficultés que rencontre Vera dans sa vie professionnelle et dans ses ennuis avec la justice mais cette théorie ne serait t'elle pas un trop facile ? 

Ainsi, cette bd devient une balade trop tranquille qui se contente surtout de nous faire un portrait d'une jeune adulte qui galère tout simplement. Vera vole dans une boutique, elle vit avec difficulté à cause ou grâce aux allocs. Les critiques réacs condamneront peut-être son attitude un peu facile mais la jeune fille avance malgré tout, pédale vers on ne sait quel destin alors que l'intrigue autour de ces temples de bétons perd un peu de son élan et nous prive peut-être d'une magie qui aurait gagnée à être plus présente et affirmée malgré de très jolies passages.

Si cette bd du label Combo confirme le talent prometteur d'un jeune auteur et s'inscrit parfaitement dans le crédo young-adult du label , ses qualités sont aussi ralenties par son style balade du quotidien qui ne parvient pas à capter clairement ses enjeux et déambule un peu trop entre la tranche-de-vie  et l'emploie de la magie comme rempart écologique.