Quand l’amour déraille...

Hannah est la cheffe de la gare. Pas d’une gare, de LA gare : un espace tentaculaire, surréaliste, aussi grand qu’une ville, managé comme un état, conçu comme un labyrinthe. Hannah a le sens inné du déplacement des foules, elle gère tout d’une main de maître, comme un chef d’orchestre de génie jusqu’à ce que…

Jusqu’à Adam : un musicien rencontré lors d’un concert, un musicien marié qui veut retrouver sa femme. Mais Hannah ne se reconnaît plus. Plus rien ne compte que cet amour, que cet amant qu’elle est prête à garder près d’elle à n’importe quel prix. Quitte à le retenir (presque) prisonnier en l’empêchant d’utiliser son passeport, quitte à l’acheter avec un train de vie luxueux et à profiter des bribes d’attentions qu’il veut bien lui accorder. L’histoire d’amour est perverse donc, l’histoire du fonctionnement de la gare un peu folle et l’ensemble est plutôt réussi.

Mais ce n’est pas le plus important dans cette BD. Ce qui la rend vraiment unique, ce sont les dessins. Je pense que le trait de Raphaël Geffray ne laisse pas indifférent. Les personnages sont disproportionnés, volontairement moches, crûs, longs. Les couleurs sont criardes ou alors on est presque sur du noir et blanc. Il y a des cases minuscules et des illustrations pleines pages très aérées. Il a un vrai sens du contraste, de la maîtrise des oppositions. Les personnages sont parfois littéralement fondus parce que la foule est informe quand elle est réglée comme une horloge. On dirait des tableaux d’arts contemporains. Moi, j’ai adoré (mais ce n’est pas forcément le cas de ceux à qui je l’ai montré).

Est-ce que Raphaël Geffray critique avec cet ouvrage une société malade de faire toujours passer ses intérêts avant le respect des autres ? Est-ce une critique sociale plus large d’une foule gouvernée comme des pions par quelques têtes pensantes ? Sincèrement, je ne sais pas. Mais pour ma part, je conseille la lecture de La Gare surtout pour les illustrations qui sont très originales, incroyables.