Un lancement intense et prenant d'une nouvelle super-équipe aux personnages riches et à la science-fiction ambitieuse, en outre avec des apparitions bienvenues d'autres super-héros Image Comics
Delcourt propose depuis cet été le premier tome de la série Free Agents, publiée en VO chez Image Comics par Kurt Busiek, Fabian Nicieza et Stephen Mooney. Ce dernier est un dessinateur irlandais qui a fait ses armes sur quelques séries liées à Batman, Rocketeer ou Black Widow, et est le moins connu du trio. Les deux autres rappellent en effet de grands souvenirs aux fans de comics : Kurt Busiek a relancé brillamment les Avengers après l'événement Heroes Reborn, et livré notamment les perles que sont Marvels, JLA/Avengers et Astro City ; et Fabian Nicieza a marqué les X-Men, Deadpool mais aussi les New Warriors et Thunderbolts (créés par Busiek).
Free Agents intéresse ainsi par la réunion de deux scénaristes qui ont beaucoup plu, via leurs comics dynamiques, prenants et la grande caractérisation de leurs personnages. Kurt Busiek a eu l'idée du titre à son retour chez Image Comics en 2021, d'abord pour les mettre au cœur d'un crossover entre les séries super-héroïques de l'éditeur, puis dans une série unique où Fabian Nicieza et lui font venir quelques têtes connues.
Delcourt propose les sept épisodes actuellement disponibles en VO, dans un beau et bon tome, avec des bonus pertinents comme les fiches des personnages qui en disent beaucoup et même un peu sur leur futur. Et alors que le dernier chapitre est sorti en janvier 2025, l'on a hâte de la suite... après ce premier volume très réussi !
Mais de quoi parle Free Agents Tome 1, finalement ?
L'histoire débute à Jersey City, quand une entité robotique attaque la Terre et est stoppée par sept personnages que le public identifie rapidement comme de nouveaux super-héros que l'on appelle « Agents Libres » par leur apparente autonomie... mais les gens sont loin du compte. Ces personnages sont des soldats, membres de l'unité Rupture 10 et issus d'autres mondes. La Terre ignore en effet qu'une guerre multidimensionnelle s'est jouée pendant des siècles, contre l'empire connu sous le nom de l'Argive, mené et créé par Eskandir. Ce dernier, au look de spartiate SF, est comparé à Alexandre le Grand qui n'aurait jamais cessé ses conquêtes, et a forgé un dogme qui justifie tous les abus et toutes les absorptions au nom de son empire, véritable Alpha et Omega de la Vie pour ses membres.
Un Pare-Feu a été créé par des résistants, équivalent à une zone-tampon pour limiter l'avancée de l'Argive et qui a absorbé quantité de mondes pour ralentir Eskandir et les siens. Les unités Rupture géraient le Pare-Feu, mais celui-ci s'est effondré lors de l'ultime combat contre l'Argive. Rupture 10 est le seul groupe survivant, et ses membres ont perdu Barrage, leur meneur basé visuellement sur Daniel Dae Kim (Lost, Hawaï 5-0) qui a affronté Eskandir.
Les soldats se sont échoués sur Terre, où ils tentent de se créer des vies normales en pensant que la menace de l'Argive est terminée – mais le doute persiste. L'on découvre ainsi Slave, tireur d'élite sans super-pouvoir et perdu après s'être dévoué à la cause ; Maraudeur, son frère transformé par maladie en lycanthrope obligé de suivre chaque ordre pour gérer sa bestialité ; Katari, véritable tueuse au corps-à-corps et sex-friend blasée de Salve ; Calice, qui gère les forces environnementales et adore sa nouvelle vie étudiante après avoir été forcée à la soumission masculine précédemment ; Strate, gamin transformable en monstre de déchets par l'Argive et récupéré par Barrage, qui s'humanise lentement ; Shakti, soldate aveugle qui compense par sa totale maîtrise électromagnétique ; et Pike, fidèle d'une croyance basée sur l'Obélisque et mystique usant plus difficilement de son bâton, le Xosier, par perte de foi.
Cet assemblage hétéroclite voit sa survie bouleversée par un étonnant retour, et une réorientation vers la guerre qu'ils pensaient et au fond voulaient derrière eux. Et ils tentent de stopper la revente d'artefacts de l'Argive en croisant des super-héros locaux, avec qui les relations sont tendues... mais ce n'est que le début des ennuis, hélas pour eux !
On le comprend, la proposition de Kurt Busiek et Fabian Nicieza est dense, et sort quelque peu des sentiers battus. Le lecteur venu découvrir une nouvelle équipe de super-héros sera surpris, car les personnages n'en sont absolument pas – bien que certains pourraient le devenir, au vu des dissonances et divergences qui se forment au contact de la Terre.
C'est bel et bien un groupe de soldats que l'on découvre ici, et encore plus des soldats ravagés par une guerre qui leur a tout pris, et qui est en principe terminée. La lecture module bien sûr cet état de faits trop simpliste, mais la question demeure de la continuité de l'Argive, voire de la survie d'Eskandir.
Les scénaristes nous plongent ainsi dans les doutes, troubles et symptômes post-traumatiques de personnages denses, dont les origines sont livrées avec parcimonie, et qui en viennent à douter d'eux-mêmes, de leurs alliés, de leurs meneurs alors que ceux-ci étaient leurs piliers jusque-là. L'on plonge ainsi dans un récit extrêmement psychologique, et fin, avec une grosse dose d'action, pour former un grand ensemble très dense et prenant.
Idem pour les principes autour de l'affrontement entre les unités Rupture et l'Argive, via ce principe formidable de Pare-Feu dimensionnel : l'idée est vertigineuse et formidable, et elle sort complètement des habitudes, même si le Multivers est évidemment plus en vogue récemment.
Très clairement, Free Agents demande un investissement du lecteur – pour suivre alors que les informations sont livrées au fur et à mesure, pour comprendre de quoi parle le récit, pour identifier les nombreux personnages, et leurs vérités au-delà des figures publiques qu'ils abordent.
Ce n'est pas une gêne, mais un atout pour une lecture formidable et prenante, où chaque personnage existe par et pour lui-même. Il est en effet extrêmement agréable de voir tant de soins donné à chacun d'entre eux, et ce au-delà même des fiches finales, qui synthétisent pleinement ce que les auteurs nous ont montré.
Free Agents se révèle ainsi un puissant portrait d'hommes et de femmes brisés, qui tentent ou non d'avancer sur un autre monde, avec un propos fort sur la fidélité, la loyauté, la croyance et l'aveuglement.
Le tout avec de belles doses d'action et de combat, des affrontements prenants et dynamiques, ainsi qu'une article intéressante sur le marché noir des artefacts et des apparitions très cools de super-héros Image Comics. L'éditeur n'étant pas connu en premier pour ses liens entre séries, c'est sympathique et bien fait, surtout pour le rappel d'une ancienne création de Kurt Busiek !
Graphiquement, Stephen Mooney livre des planches à la hauteur. Il donne une caractérisation visuelle à chaque personnage, et il s'y tient fort bien durant tous les sept épisodes, qu'il réalise entièrement seul (bravo!).
Plusieurs passages sont très jolis et réussis... mais quelques autres sont hélas plus loupés. La qualité globale reste très bonne, mais le dessinateur alterne entre passages solides, très hautes prestations, et rendus soudain moins brillants. Je pense notamment à l'apparition d'un certain super-héros plein de radiance obscure, dont l'artiste tient mal le design et le rendu ; un peu dommage.
Il n'empêche qu'il conserve un fort dynamisme, et une narration très efficace, ce qui rendent la lecture très fluide et prenante.
En bref
Free Agents est une belle et bonne œuvre comics. Le scénario surprend par son orientation, sa psychologie, le caractère fouillé et précis de ses nombreux personnages, et un propos troublant sur le moment où l'on accepte ou tolère la fin d'une guerre qui a forgé toute votre vie. Avec en outre une science-fiction dense, cela donne un récit prenant, qui implique le lecteur et l'emporte dans une saga intense, efficacement dessinée avec des bonus bienvenus en fin de tome pour faire le point.
Positif
Un propos surprenant, intense et fort, qui implique le lecteur émotionnellement.
Une science-fiction dense, maîtrisée et rafraîchissante.
Une très bonne gestion des nombreux personnages, que ça soit les Agents Libres ou ceux croisés en parallèle.
Negatif
Une lecture prenante, mais exigeante pour le lecteur s'il n'adhère pas au propos global.
Un début un peu trop obscur, par manque d'informations certes livrées ensuite, mais cela aurait mérité plus de fluidité au lancement (idem pour les apparitions d'autres super-héros, jamais présents hormis les quelques dialogues dans le récit).
Un dessin réussi et efficace, mais avec des hauts et quelques bas qui manquent de continuité graphique.








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