Retour d'une oeuvre culte nécessaire
Depuis que je suis lectrice de manga, et ça remonte, j'entends parler de l'oeuvre de Keiji Nakazawa. Mais je l'ai longtemps pensé trop dure pour moi. Quand j'ai enfin voulu m'y intéresser, zut, elle n'était plus disponible. Alors je remercie infiniment les éditions du Tripodes et son éditrice notamment de lui avoir offert une seconde vie.
Oeuvre culte et importante, celle-ci avait déjà été publiée chez nous au début des années 2000, mais elle date des années 70 au Japon et elle s'appuie sur les souvenirs et témoignages de l'auteur et de sa documentation riche et engagée. Pour qui s'intéresse à ce moment charnière de notre histoire mondiale, il faut lire Gen d'Hiroshima rebaptisé ici Gen aux pieds nus. C'est Art Spiegelman, l'auteur du cultissime et nécessaire Maüs, qui le dit également. Je salue d'ailleurs cette édition qui propose une préface avec ses mots et un avant-propos de l'auteur lui-même pour présenter son projet. C'est des plus intéressants.
Série prévue en 10 tomes, elle présente le destin de Gen, un jeune garçon vivant à Hiroshima avant, pendant et après le largage de la bombe, qui sera le vecteur d'un regard critique et construit sur le Japon en guerre et sur son devenir après, sous un format shonen efficace et prenant, aux dessins datés mais faisant bien écho à l'époque justement. Essentiel.
Pour conter tout cela, l'auteur emprunte fortement les codes du shonen. Ce premier tome est ainsi le récit de la vie, pas facile de Gen et sa famille, durant les jours et semaines précédents le largage de la bombe. On y découvre une population divisée et martyrisée mais qui continue à vivre, relatée à travers le regard de cette famille dont le chef de famille est un pacifiste convaincu, donc un traître pour la majorité des Japonais endoctrinés. L'auteur s'appuie pour cela sur les souvenirs de sa propre famille. Ce sont ses parents, ses frères et soeurs, qu'il met en scène. Il raconte leur quotidien entre quolibets et stigmates parce qu'ils diffèrent, mais aussi leur vie de famille, leur difficulté à se nourrir, se soigner, la peur des bombardements, la façon dont été traitée/utilisée la jeunesse dans l'armée et les champs pour les travaux pénibles, l'endoctrinement dès l'école, la maltraitance de ceux se prenant pour des petits chefs, sans oublier l'amour, l'entraide et la générosité dont certains font preuve. Tout y passe et c'est des plus réalistes.
C'est en effet raconté de l'intérieur mais avec une forme de drôlerie et de dynamisme pour rendre le tout supportable. Cela rappelle en cela la vie difficile que d'autres auteurs ont pu raconter comme Yoshichi Shimada dans Une sacrée mamie où là aussi les enfants étaient de sacrés troubles fêtes que les adultes se plaisaient à corriger pour leur inculquer les bonnes valeurs mais où l'amour filial était de mise. Ainsi la rudesse de ce moment unique passe et la violence prédominante de partout devient supportable malgré le regard qu'on peut poser sur elle après coup. Gen est un héros attachant, de mêmes que son petit frère. Son père est un modèle qu'on admire. Le seul adulte raisonnable qui sait dire tout haut les contradictions de son pays et n'a pas peur de ce qui peut lui arriver car il met ses idéaux au-dessus. Il y a aussi la figure, intéressante, de ce frère aîné qui va chercher à racheter ''la traîtrise'' de sa famille. Cela en dit long.
Merci Le Tripode pour la réédition de ce texte essentiel qui manquait dans notre paysage surtout en cette année anniversaire de cette horreur, alors que les risques qu'elle se reproduise n'ont jamais été aussi grands.
En bref
Le récit vaut surtout pour son témoigne engagé. Il est fort, puissant. On ne sort pas indemne de cette lecture et pourtant le drame ne surgit que dans les ultimes pages, mais déjà les précédentes ont leur poids et on ne les oublie pas. Le ton volontairement jovial de l'auteur est un pis aller judicieux pour rendre l'indicible supportable. Ce témoigne au plus près de la réalité que la famille de l'auteur a vécu est en tout cas un superbe texte qui prend aux tripes. On a envie de crier avec ce père qui est le seul à avoir les yeux ouverts sur les atrocités qui se commettent et se préparent. Et ce n'est que le début ! La suite promet d'être tellement plus rude T.T








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