Un destin alsacien dans la tourmente de la guerre

1. Un destin brisé par l’Histoire

Plongez en 1941, en Alsace, une terre déchirée par l’Histoire et l’Occupation allemande. Louis Fisher, jeune étudiant insouciant, voit son quotidien basculer sous le joug du Reich. Dans une région annexée où parler français est interdit, Louis, comme beaucoup d’Alsaciens, doit prouver sa « légitimité » aux yeux des nazis. Mais son caractère rebelle et ses amours tumultueuses le mènent à un choix cruel : pour épargner sa famille d’un camp de redressement, il est contraint de s’enrôler dans la Waffen SS, devenant un « Malgré nous ». À travers son périple, de l’Alsace aux fronts de guerre, on suit le combat intérieur de ce jeune homme qui refuse de trahir ses racines tout en portant l’uniforme ennemi. Entre trahisons, rencontres marquantes et drames familiaux, Malgré nous raconte une page sombre et méconnue de la Seconde Guerre mondiale, où les destins individuels se heurtent à la grande Histoire.

2. Un dessin immersif et un scénario poignant

Le dessin : Marie Terray livre un travail visuel d’une grande justesse. Son style réaliste, rehaussé par des aquarelles lumineuses, capte l’ambiance oppressante de l’époque. Les uniformes, les paysages alsaciens et les scènes de guerre sont rendus avec une précision historique impressionnante. Même dans les moments les plus sombres, comme les combats ou les instants de désespoir, les couleurs restent vibrantes, apportant une touche d’humanité à la noirceur. Les expressions des personnages, notamment celles de Louis, traduisent parfaitement les émotions complexes, entre révolte, peur et résignation. Chaque planche est une plongée dans l’Alsace sous l’Occupation, avec un souci du détail qui rend l’immersion totale.

Le scénario : Thierry Gloris signe un récit solidement documenté, et c’est là sa grande force. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est la manière dont il entrelace l’intime et l’historique. L’histoire de Louis n’est pas juste celle d’un « Malgré nous » : elle explore les tiraillements d’un jeune homme pris dans un conflit qui le dépasse, forcé de naviguer entre sa loyauté envers sa famille et les horreurs de la guerre. Gloris n’élude pas les ambiguïtés morales, montrant à quel point les choix étaient limités pour ces Alsaciens enrôlés de force. Les personnages secondaires, comme la vieille connaissance nazie ou les membres de la famille Fisher, enrichissent le récit en apportant des perspectives variées. La tension dramatique est constante, et les moments de répit, souvent liés aux souvenirs d’Alsace, sont d’une belle sensibilité. Si la fin ouverte peut frustrer, elle reflète la réalité brutale de ces destins incertains.

3. Mon verdict : une fresque historique émouvante mais inachevée

Malgré nous est une bande dessinée qui frappe par sa sincérité et sa puissance émotionnelle. En abordant le sort des « Malgré nous », ces Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande, Thierry Gloris et Marie Terray livrent un récit qui éclaire une page complexe de l’Histoire. Le dessin, immersif et soigné, transporte le lecteur dans cette période trouble, tandis que le scénario, riche et nuancé, donne vie à des personnages humains et faillibles. Cependant, le récit souffre d’un léger déséquilibre : la focalisation sur Louis éclipse parfois les autres membres de sa famille, dont les drames mériteraient plus de place. La fin ouverte, bien qu’émouvante, laisse un goût d’inachevé, et l’absence de suite (pour l’instant) peut décevoir ceux qui voulaient une conclusion plus nette. Malgré ces bémols, cette intégrale est une lecture marquante, idéale pour ceux qui aiment les récits historiques ancrés dans l’humain.