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Critique de Dr. Grordbort présente : Victoire

par Lorca le dim. 29 juil. 2012

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1) Genèse Ce livre est un peu particulier à présenter, puisqu'il fait partie d'une oeuvre transmédia initiée par l'artiste néozélandais Greg Broadmore (notez la sonorité proche du nom), qui dans la vraie vie n'est rien moins que Designer chez Weta Workshop, un célèbre studio d'effets spéciaux, connu pour sa collaboration avec Peter Jackson. A titre personnel, et c'est à mon sens une preuve de son talent immense, Greg Broadmore est le directeur artistique de District 9, l'un des meilleurs films de science fiction des dix dernières années, qui racontait la cohabitation à Johannesbourg entre les hommes et des aliens, dont le navire est venu s'échouer à proximité. Les prothèses d'aliens, les armes, le design alien en général, c'est lui. Et quand vous en connaitrez un peu plus sur l'univers du Dr Grordbort, ça n'en sera que plus évident. Bref, outre cet album paru chez Milady Graphics - collection de l'éditeur français Milady, lui même filiale de l'éditeur Bragelonne, le plus gros éditeur français de roman de fantasy (en quantité, en chiffre d'affaire, etc) - nous avons un site web et une exposition. Pour le site web, dont voici le lien, je vous laisse le plaisir de la découverte. Quant à cette exposition, j'ai eu la chance - le privilège - de la visiter lors du festival des Utopiales de Nantes 2011, alors qu'elle venait de quitter La Maison d'Ailleurs, qui est le seul musée européen de la science fiction, et se situe à Yverdon, en Suisse. Dans cette exposition, le visiteur découvrira une collection d'aliens empaillés, une autre d'armes mises au point par le Dr Grordbort, et de nombreux tableaux relatant les exploits du célèbre explorateur britannique Lord Cockwrain, ainsi que des portraits d'autres explorateurs moins connus mais assez remarquables pour servir de faire valoir à cet intrépide protecteur du glorieux empire britannique. (je vous mettrais en ligne quelques photos cette semaine) Pour l'anecdote, cette exposition a eu tellement de succès lors du festival que dès le vendredi soir, la bande dessinée était en rupture de stock (le festival durait du jeudi au dimanche), ce qui a attristé nombre de fans fraichement convertis, puisque Greg Broadmore était là en personne, dont votre serviteur. 2) Présentation Pour faire un parallèle avec un autre célèbre personnage de fiction, le dr Grordbort est le Cavor de Greg Broadmore. Génial scientifique, il a mis au point une technologie révolutionnaire qui, dès la fin du 19e siècle, a permis à l'empire britannique de pacifier le monde et de mettre un terme aux velléités expansionnistes des autres puissances européennes, pour ensuite s'attaquer à une autre cible : le système solaire. En effet, si cette technologie inédite se caractérise par des pistolets à rayons, elle apporte aussi de nombreux progrès dans les moyens de locomotion et d'autres domaines pratiques, puisqu'il devient aisé de franchir les frontières séparant les mondes. Dès lors, les troupes britanniques débarquent sur la Lune, puis sur Mars et Vénus, soumettant au passage les populations autochtones, souvent hostiles, mais toujours affreusement moches et incompréhensibles, ce qui explique le peu de pitié que leur accordent des hommes comme Lord Cockwrain, dont l'impétuosité, la témérité et le sang-froid sont connus de tous les sujets de sa très gracieuse majesté, puisqu'il est l'acteur principal de l'agrandissement de l'empire britannique. Cet ouvrage lui fait donc la part belle, relatant quelques uns de ses victoires à la tête des troupes britanniques contre la résistance féroce mais futile des infâmes et putrides créatures qui prétendaient empêcher l'apothéose de la pax britannica. D'autres pages présentent des inventions du Dr Grodborts, des conseils moraux pour les jeunes enfants de l'empire, etc. Bref, c'est un bel ouvrage de propagande mettant en avant les vertus d'un héros contemporain, censé inspirer loyauté à tous, encourager les jeunes hommes à devenir plus forts ou à s'enrôler dans la royal navy, tandis que les jeunes filles doivent être sages et se préparer à pondre...euh faire de jolis enfants pour la plus grande gloire de l'Empire. 3) Analyse En tant qu'oeuvre transmédia, Victoire est quelque chose d'inédit, et qui se passe de commentaires, tant la réalisation plastique est somptueuse et l'univers suffisamment travaillé pour bénéficier d'une profondeur et d'une cohérence rarement vues dans ce genre d'initiatives. Mais même en se contentant de la bande dessinée / comics - mais ce terme ne rend pas justice à cette oeuvre, qui n'est pas non plus un roman graphique - on reste assez stupéfait par ce qu'on peut découvrir. Le dessin est dur, incisif, et les couleurs jouent sur les variations pour nous montrer l'infinie complexité des mondes étrangers conquis par Lord Cockwrain, mais aussi le génie nécessaire à la mise au point des inventions du Dr Grordbort. Nous sommes clairement dans une oeuvre de second degré, qui parodie les romans populaires de la fin du 19e/début 20e qui décrivait les exploits héroïques de brutes sanguinaires servant généralement leur propre intérêt avant ceux de leur pays natal (les fascicules consacrés à Buffalo Bill par exemple). Ici, il ne s'agit pas de faire dans la dentelle, mais de convaincre par un dessin qui met en avant certains faits précis, interpelle le lecteur d'un ouvrage de propagande - adolescents, jeunes adultes - tout en étant sous tendu par un arrière plan de toute beauté qui laisse pantois le public réel. Je suis tenté de parler d'une sorte de mise en abyme au vu de l'effort déployé par l'auteur pour permettre à "Victoire" d'être lu par deux publics totalement différents et largement séparés dans le temps. De son côté, le scénario bénéficie d'une réelle cohérence, et est proche du steampunk, même si son auteur nie avoir été influencé par ce courant artistique, qu'il semblait ignorer jusqu'à ce que ses premières oeuvres le rendent célèbre. Certes les inventions du Dr Grordbort semblent un peu sorties du chapeau, mais c'est le cas pour la plupart des grandes inventions, et le travail fait sur les conséquences de telles découvertes est quant à lui des plus convaincants. En conclusion, qu'on soit fan ou non de steampunk, cet ouvrage est un achat indispensable à tout amateur de beaux dessins, d'autant qu'il est nul besoin d'avoir exploré le reste de son univers pour être séduit. Je regrette néanmoins le prix très élevé - 25 ? tout de même - que je n'ai pourtant pas regretté vu le charme de "Victoire", et l'impression durable qu'il a procuré sur mon imagination. Les fans de SF vont se régaler, et les autres aussi.

En bref

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