Parfois, il y a des pépites qui passent comme de discrètes étoiles filantes sur le marché français, et s'éteignent très vite dans l'indifférence totale. Il faut dire qu'entre l'absence de mise en avant par l'éditeur et ses couvertures qui ne laissent aucunement présager de son type de contenu, The end of the world n'avait pas beaucoup de chances d'attirer l'attention. Pourtant, cette petite série, bâtie et terminée en 4 tomes seulement, vaut réellement le détour. Pour vous parler de ce qui fait l'intérêt de cette histoire, je suis plus ou moins obligée de vous spoiler un événement très important. Si vous aviez déjà prévu de lire ce manga grâce à d'élogieuses critiques restant dans le vague, vous pouvez vous arrêter ici. Dans le cas contraire, c'est précisément la connaissance de cet événement qui pourrait bien titiller votre intérêt, donc je vous invite à poursuivre la lecture de cet avis. Tout d'abord, il est à relever que The end of the world bénéficie d'un scénario soigneusement construit, la mangaka ayant probablement visé les 4 volumes dès le début de sa série. Le rythme et le développement du récit, à la fois développé et avançant sans détours inutiles, chaque fait apportant sa pierre à l'édifice, ne laisse aucun doute sur l'intelligence et le soin apportés à la mise en place de l'intrigue. Un tome entier est consacré à la situation initiale. Les personnages nous sont présentés : on apprend quels sont leurs personnalités, leurs passés, leurs histoires, leurs caractères, leurs passions, bref : tout est détaillé pour que l'on comprenne très précisément qui ils sont et comment / pourquoi ils en sont arrivés là. Parmi ces protagonistes, nous avons donc Chida, une jeune fille qui a connu le harcèlement et qui, pour s'en protéger suite aux nombreux sacrifices que ses parents ont consenti pour la mettre en sécurité, a décidé de sortir avec le leader de la classe, Kasuga, malgré son comportement détestable. Chida nous apparaît au début comme un personnage faible, mais ses motivations nous permettent rapidement de la comprendre et au fil des tomes, elle montrera une force de caractère, une détermination et un esprit de sacrifice étonnants. Et il y a aussi Kawaguchi, un garçon violemment harcelé par Kasuga. Passionné par les trains, Kawaguchi subit les brimades la tête haute, travaille pour racheter son matériel abîmé par ses bourreaux, et est sensible à la solitude et la détresse cachée de Chida. La gentillesse, le désir de protection et l'intelligence de Kawaguchi en font un personnage particulièrement attachant. Devenue amie avec Kawaguchi, dont la résistance face aux brimades de Kasuga l'émeut, Chida décide de rompre avec son petit ami. Mais ce dernier, outre qu'il dévoile des motivations peu aimables, n'est pas prêt à la laisser partir. Tandis que Kawaguchi vole au secours de Chida, se produit une scène mouvementée... Et c'est le drame. Kasuga sera retrouvé mort au pied de l'école, son cartable et ses chaussures soigneusement rangés sur le toit. Seul détail anormal : la blessure d'une piqûre sur sa main gauche, à priori faite par un objet long et effilé... Comme l'épingle à cheveux de Chida, qui lui avait offerte Kasuga. Bien sûr, c'était un accident. Mais la scène s'est déroulée de façon tendancieuse et l'événement est grave... très grave. Kawaguchi et Chida, qui ont tous deux une expérience amère de la vie, ont déjà eu l'occasion à de multiples reprises de se rendre compte que la vérité et l'esprit de justice, la volonté de "se conduire bien", ne mènent qu'à des ennuis plus graves encore. Échaudés par leurs vécus respectifs, ils choisissent de garder le silence et de vivre dans le mensonge, complices de leur crime, décidés à se protéger mutuellement. Mais tout ne se passe pas comme prévu... La blessure sur la main de Kasuga attire l'attention, et plusieurs individus vont mettre en doute la thèse du suicide. Et s'il ne s'agit pas d'un suicide, c'est qu'il s'agit d'un homicide. Les obstacles se dressent sur le chemin de Chida et Kawaguchi et l'étau, tome après tome, se resserre lentement sur eux. Comme je l'ai déjà dit, The end of the world bénéficie d'un scénario soigneusement réfléchi, d'une cohérence étonnante. Chaque événement qui se produit peut dissimuler, de fait, une raison inattendue, ce qui donne régulièrement lieu à des retournements de situation cruels. Le tome 2 s'avère ainsi particulièrement douloureux quand les protagonistes, cherchant à se protéger, recourent à un stratagème avant de découvrir la vérité et d'être confrontés aux conséquences dramatiques de leurs actes. The end of the world est un manga émotionnellement très intense. Choc, douleur, souffrance, peur mais plus que tout, un sentiment de culpabilité qui pousse en permanence les personnages à hésiter entre continuer à s'enfermer dans leur mensonge ou se dénoncer pour dire la vérité et libérer les victimes auxquelles ils ont, eux aussi, fait du mal à travers leur silence. Néanmoins, outre qu'ils ont chacun un passé qui les a poussés à faire ce choix, Chida et Kawaguchi ont aussi des raisons qui les exhortent à ne pas changer leur vie actuelle. Les nombreux sacrifices des parents de Chida, la solitude du grand-père de Kawaguchi dont la santé décline lentement, leur font craindre les répercussions que la vérité aurait sur leurs proches. Alors, quel est le bon choix ? Et comment vont-ils s'en sortir ? Tout au long de la lecture, ces questions taraudent le lecteur qui assiste, éberlué, ému, au dilemme de Chida et Kawaguchi. Le plus étonnant est qu'outre ce scénario choc, et extrêmement bien construit, plein de suspens et de retournements de situation, la mangaka n'a pas oublié qu'elle était en train de dessiner un shôjo. La romance reste ainsi sans cesse présente en arrière-fond, qu'ils s'agisse des révélations sur les vrais sentiments de Kasuga, qui apportent une pierre douloureuse à l'édifice instable des émotions de Chida, ou de la force du lien qui unit Chida et Kawaguchi, chacun ému par l'autre et décidé à le protéger dans une prenant exemple sur sa force de force de caractère. Aucun personnage de cette série n'est laissé de côté quant à son esquisse psychologique. Chacun a un vécu et des raisons qui sont expliquées pour que l'on puisse comprendre en profondeur leurs motivations, leurs ressentis et leurs choix. Chida et Kawaguchi ne sont pas seuls à bénéficier d'un travail approfondi sur leur mental ; chaque protagoniste apparaissant dans l'histoire bénéficie d'une épaisseur qui le rend très humain. Relevons enfin l'immense qualité graphique de ce manga. Les planches sont tout simplement superbes. Maîtrisés à chaque case, les dessins livrent une narration expressive et d'une grande clarté, qui parvient sans peine à sublimer les passages chocs et qui fait son effet à la lecture. Le trait magnifique donne également beaucoup de profondeurs aux regards des protagonistes. The end of the world nous pousse à nous interroger sur ce que nous aurions fait à la place de Chida et Kawaguchi. Vu leurs vécus, ils ont toutes les raisons du monde d'avoir fait ce choix et leur force de caractère les pousse à l'assumer, d'une certaine façon. Et pourtant, vu ce qu'ils auront à accomplir pour se protéger, on arrive sur le tome 4 en se demandant si tout cela en valait la peine. La fin du manga, cohérente et très belle, nous évite le happy end improbable mais nous laisse quand même un goût un peu amer, tout en laissant la porte ouverte à un futur que l'on imagine enfin heureux pour les personnages, ces personnages à qui le bonheur semblait inaccessible désormais. Grâce à son scénario peu usuel et diablement bien construit, à son suspens permanent, à la profondeur accordée à la psychologie des personnages et enfin à son graphisme splendide, ce shôjo est une perle passée discrètement mais qui mérite résolument d'être découverte. Je vous encourage à acquérir et lire les 4 volumes d'une traite afin de mieux bénéficier de l'immense cohérence d'ensemble du récit.