Petit garçon frêle et pauvrement vêtu, San Mao (dont le nom signifie littéralement "trois poils", à l'image de sa coiffure) erre seul et sans famille dans les rues crasseuses de la Chine des années 30. Alors qu'il lutte au quotidien pour survivre, pouvoir se vêtir et se nourrir, il croise des tas de personnes, des gens riches à ceux encore plus pauvres que lui, des vieilles personnes aux enfants de son âge (qu'il aide souvent volontiers), et il lui arrive toujours beaucoup d'aventures! Et sans jamais se départir de son bon fond et de son honnêteté, il va tour à tour nous faire rire ou nous émouvoir... Les éditions Fei ont pris le temps de mettre en valeur dans une préface signée Nicolas Finet, le contexte politico-historique de l'immense œuvre de Zhang Leping, et l'importance de son héros, devenu un classique en Chine au même titre que Tintin dans nos contrées, et également multi-adapté, que ce soit en animé comme en film live. Cette entrée en matière permet de planter efficacement le décor, on regrettera cependant un certain nombre de révélations sur les tribulations de San Mao (évitez les paragraphes au milieu des pages 18 et 19 si vous souhaitez conserver la surprise!). Le style graphique de ce lianhuanhua respecte majoritairement le traditionnel code de la BD en 4 cases, la dernière servant souvent à la chute. Les histoires tiennent donc souvent en une page, où la conclusion est souvent drôle, quand elle ne porte pas à réfléchir ou à émouvoir le lecteur. Les dessins de Zhang Leping ont traversé les années sans perdre de leur charme et de leur clarté, avec une simplicité pleine de talent pour nous faire passer leur message, et c'est d'autant plus fort que San Mao, le petit vagabond ne possède aucune bulle de texte: les personnages ne parlent presque jamais, ou alors par dessins, et pourtant l'histoire est claire comme de l'eau de roche, et peut-être même encore plus émouvante. On est immédiatement plongé dans le quotidien de la Chine de la fin des années 30, où les nouveaux riches côtoient la pauvreté la plus révoltante, la misère terrible dans laquelle sont plongés San Mao et ses amis de passage. Originellement publiée dans la grande presse, la série suit l'évolution de la société et l'avancée de l'Histoire, on ne tarde donc pas à y découvrir les répercussions de la guerre avec le Japon... Instructif et touchant, drôle et bouleversant, San Mao, le petit vagabond offre une lecture différente mais intéressante, avec son épais volume de plus de 400 pages, dans un format original de 22cm de large mettant en valeur la forme des planches de l'auteur. La jolie édition en dos carré-collé cousu (si je ne m'abuse) et le poids de ce bel objet justifient également le prix (33€) d'une œuvre qui vaut le détour! Néanmoins, je reste absolument interdite devant le choix de "traduction" du titre. Car si les personnages ne parlent pas, on trouve souvent des mots écrits en chinois dans les décors, sur les affiches, les devantures des boutiques, les produits du marché... Et l'éditeur a fait le choix incompréhensible de nous proposer la traduction de tous ces textes (souvent indispensables à la compréhension du contexte) en bas de page, obligeant l’œil du lecteur à faire de perpétuels allers-retours d'une case à sa traduction, avec des annotations tarabiscotées expliquant l'emplacement géographique du mot d'origine. En plus de rendre le procédé affreusement lourd et fatigant pour le lecteur, et de ruiner la superbe et efficace concision des planches de l'auteur, je ne m'explique pas les raisons de ce choix de conserver à ce point-là les dessins originaux (comme si ajouter de temps en temps un mot en français allait enlever le charme pittoresque de cette œuvre et trahir son esprit!). En bref, à part ce choix que je considère comme une faute d'adaptation (d'où l'étoile en moins sur ma note), il n'en reste pas moins que j'ai passé un très bon moment en compagnie de San Mao, et je vous invite sans hésiter à découvrir les aventures de ce petit bonhomme qui garde le sourire malgré les malheurs qui lui tombent sans cesse dessus! Un classique dont le charme opère toujours, près de 80 ans après sa création!