Il y a quelques années, Ki-oon a lancé sa première collection ; Latitudes. Les titres de ce label sont tous édités en grand format 17x24 cm et sont pour la plupart des seinen. Une collection ambitieuse avec des thématiques bien précises, souvent des aventures humaines, et qui vise un public plus adulte. Ils ont réussi à dénicher de vraies petites perles et Underwater semble à première vue très prometteur. Cette œuvre est signée URUSHIBARA Yuki, l’auteur du très remarqué Mushishi. En ce qui me concerne, j’ai tout de suite accroché à l’univers de ce dernier qui prenait une dimension fascinante sous le trait singulier de l’auteur. On débute donc cette épopée en compagnie de Chinami, une jeune lycéenne qui au cours d’un entrainement s’évanouit à cause de la canicule qui frappe le pays. Durant cette vague de chaleur, la population fait face à d’importantes restrictions d’eau et pour Chinami qui adore nager, c’est un vrai supplice. Pendant qu’elle était dans les vapes, elle se met alors à faire un rêve étrange dans lequel elle arpente un village qui est entouré par de nombreuses étendues d’eau et où il pleut sans cesse. Ce qui frappe d’entrée de jeu, c’est qu’en débutant le récit, le lecteur est dérouté tant la frontière entre le rêve et la réalité est mince. En effet, chaque fois que Chinami ferme les yeux, elle se retrouve au cœur du village dans lequel elle noue rapidement des liens avec un jeune garçon. Plein d’énergie et insouciant, il mène une vie paisible avec son père. On ne peut s’empêcher de se demander ce qui est arrivé au village qui a l’air en dehors de ces deux personnes complètement abandonné et dans lequel on a l'impression que le temps s’est arrêté. Il y a aussi surtout le fait que la jeune fille ressente un lien avec cet endroit où elle n’a jamais mis les pieds auparavant. On comprend assez vite que les membres de sa famille y ont vécus mais sa mère ne semble pas vouloir lui en parler. Une réaction étrange qui donne au lecteur l’envie d’en découvrir la raison et ajoute une pointe de suspens au récit. On vit donc cette expérience fascinante et insolite en même temps que notre héroïne. On est vraiment captivé du début à la fin même si on sent que quelque chose nous échappe. L’auteur parvient ainsi à conserver une certaine part de mystère. Dans la seconde partie, on fait un grand bond dans le passé et on y découvre un village plein de vie. Un événement marquant va faire brillamment le lien avec la première partie du tome et plus on va avancer dans le récit et plus on va être touché par la tournure des événements. Même si j’ai adoré la première partie, ne voyant pas tout à fait où l’auteur voulait en venir, j’ai eu un peu de mal à me laisser emporter par le récit et l'enchaînement des événements m’a tout de même laissée un peu perplexe. Par contre, la deuxième partie qui est certes « plus terre à terre » m’a immédiatement conquise pour la simple et bonne raison que je me suis attachée aux personnages et que je me suis sentie concernée par leurs sorts. En attendant la parution du second et dernier tome, c’est donc avec une certaine émotion qu’on referme le livre. En ce qui concerne les graphismes, ceux qui avaient apprécié le trait de l’auteur continueront de le faire avec cette œuvre. Le dessin est très personnel, réaliste et possède beaucoup de charme. Le chara-design des personnages est simple mais soigné. Elle fait parfaitement le lien entre le présent et le passé, les deux époques sont bien représentées et convaincantes. L’auteur fait la part belle à la nature, à ses paysages boisés et ses étendues d’eau qui confèrent à son œuvre une atmosphère des plus poétiques. Les décors et les arrières plans sont bien fournis et permettent au lecteur de s’immerger un peu plus surtout lorsque les personnages plongent sous l’eau ou qu’ils se baladent dans le village, on prend énormément de plaisir à contempler les scènes qui s’offrent à nous. Elle utilise intelligemment les trames et joue sur une palette de nuance de gris pour donner vie à son récit. Le découpage des cases est fluide et certains les paysages qui s’étendent sur une page montrent la nature dans toute sa splendeur. Les éditions Ki-oon ont fait de l’excellent travail sur ce titre. La couverture est tout simplement magnifique, raffinée et épurée. Le papier utilisé est épais avec des reliefs en forme de vague et comporte des sortes de grain comme celui utilisé par les artistes pour le dessin. On peut dire qu’ils ont vraiment mis le paquet et rien qu’en observant cette couverture, on sent qu’on va être transporté et émerveillé par le récit. Par contre la tranche s’abîme assez vite, j’ai dû chercher parmi les exemplaires dans ma libraire et prendre celui qui comportait le moins de déchirures. Les premières pages sont en couleur et nous plonge directement dans l’ambiance du titre, je ne sais pas si l’auteur a utilisé de l’aquarelle ou des pastelles mais le résultat est très beau. Je n’ai vu aucune fautes ni aucune bavure et le papier est de qualité. Le prix est assez élevé mais c’est vraiment un très bel objet. Cela représente tout de même un petit investissement surtout pour les petites bourses mais la série ne comportant que deux tomes, ce ne sera pas non plus une ruine. Underwater est une tranche de vie joliment contée et empreinte d’émotions. J’aime la façon dont l’auteur a fait de la nature et de l’eau des éléments clé de son récit. Elle nous invite à vivre une expérience unique, nous fait rêver et rend la lecture envoûtante en y ajoutant une dose de suspens et de mystère. Je suis curieuse et impatiente de découvrir le dénouement de cette très belle aventure humaine.