L’Amérique des années 30 sert de cadre à une fable, sociale et sociétale. On y suit le parcours d’un immigré ukrainien qui a fui la violence et la faim de son pays, sans rêve de gloire ou d’argent ; C’est le simple souhait de manger et dormir en sécurité qui l’a amené en Amérique. Il vit sa vie d’ouvrier, entre syndicat et mafia ; il nous parle des monstres aussi, qui sont loin d’être ceux que l’on croit. En deux tomes qui semblent avancer à un rythme nonchalant, sont pourtant abordés bien des thèmes, et restituée l’ambiance et les pouvoirs de cette période où tout semblait encore possible pour tous. Le dessin étire les visages en longs nez, sans tomber dans la caricature. Il propose de nombreuses trouvailles de mise en page. L’une représente par exemple la descente des ouvriers d’un squelette blanchi de poutrelles métalliques, ossature d’un building en construction, à la manière d’un vieux jeu Donkey Kong des années 80. Deux doubles pages donnent la vision du haut d’un de ces tours, du monstre jamais endormi qui déploie ses immeubles esquissés de points lumineux et de contours flous, comme autant de vivantes tentacules. C’est beau, puissant, cette douleur d’un homme passé à rien d’un grand bonheur simple.