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Critique de Sheltered

par bulgroz le mer. 18 mai 2016 Staff

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La fin du monde est sans conteste l'un des sujets phares de la bande-dessinée anglo-saxonne, du moins ces dix dernières années. On ne compte plus les titres ayant comme base une société post-apocalyptique. D'une certaine manière, Sheltered prend le contre-pied de cette tendance puisque comme le sous-titre le précise, il s'agit ici d'un « récit pré-apocalyptique ». L'action se déroule de nos jours, aux États-Unis, dans « le refuge » (Safe Heaven pour la VO). Le refuge est un camp dans lequel vivent plusieurs familles de survivalistes, se préparant – comme tout bon survivaliste – à la fin du monde. Ils vivent donc de manière autonome dans des mobile-homes, au dessus d'un réseau de bunkers destinés à les abriter en cas d'apocalypse. Les habitants du refuge nourrissent entre autres une défiance absolue vis-à-vis des instances gouvernementales, des médias, de la technologie etc. Ils vivent en parfaite autarcie, à quelques besoins matériels près... Dans un premier temps, il nous sera impossible de situer géographiquement le campement, il nous est dit que « la première ville est à 60 km », l'environnement montagneux est plutôt hostile. Nous apprendrons plus tard qu'il s'agit du comté de Norfolk. Dès les premières pages du récit, on comprend que pour les habitants adultes du refuge, le danger ne viendra pas de l'extérieur mais bien de leur propres enfants qui, ayant grandi avec la peur de la fin du monde, décide de s'en prémunir de façon plus radicale encore. Safe Heaven ne sera pas du tout un havre de paix. Ed Brissonn (le scénariste de Cluster) nous invite ici à assister, impuissant, à la mise en place d'une spirale infernale, à la descente aux enfers d'une bande de gamins exaltés et manipulés par un pair charismatique persuadé du bien fondé de leurs actions. En lisant Sheltered, j'ai immédiatement repensé à un roman qui m'avait beaucoup marqué dans mon enfance : Sa majesté des mouches, (W. Golding, 1954) dans lequel une bande d'enfants se retrouve perdue sur une île et s'organise de façon autoritaire en reproduisant spontanément des schémas politiques classiques. Un roman très sombre, exposant les jeux de pouvoirs liant les hommes et les femmes dès leur jeunesse. Des individus qui ne peuvent s'affirmer que par la violence, l'identitarisme et la vénération d'une personnalité forte. Une mini-société fasciste en somme. Le rythme est très soutenu voire haletant. La violence est omniprésente, jusqu'au dernier quart de l’œuvre, on se demande bien comment va pouvoir se terminer le récit. – Mal, assurément, mais à quel point ? - Autant de raisons qui ont sûrement conduit Akileos à nous proposer Sheltered en un seul gros – et beau - volume, l'ensemble des quinze épisodes de la série originale. Un choix très pertinent qui de plus nous donne une belle édition. Finalement, la conclusion de l'histoire n'est pas si inattendue malgré un bon gros cliffhanger. Une petite déception sur ce point-ci. Côté dessin, le style de John Christmas n'est pas de ceux que j'apprécie le plus dans les comics. J'ai eu un peu de mal avec l'ambiance graphique générale au début (notamment le traitement des visages), et finalement, - soit le style évolue, soit je m'y suis habitué - j'ai trouvé le dernier tiers de l’œuvre assez agréable. Certaines planches sont particulièrement réussies : j'aime beaucoup les ambiances hivernales, hostiles et froides, ici on est comblé ! Sheltered est un comic très sombre, très pessimiste, dans lequel des personnages auxquels on peine parfois à s'identifier provoquent en quelque sorte l'apocalypse à force de l'attendre, et peut-être en réalité la désirent ils plus que tout... Le scénario décrit à la perfection l'impossibilité pour une société de rebrousser chemin lorsqu'elle est partie trop loin. Nous savons que nous sommes au bord du gouffre, on ne peut pas faire demi-tour, il faut donc continuer d'avancer, quitte à se tromper totalement. Une vision terriblement désabusée et cynique de la nature humaine, j'adore. Sheltered, proposé en intégralité dans une édition très réussie, est une œuvre intéressante, le rythme très soutenu est parfaitement maîtrisé, les personnages sont en revanche parfois trop caricaturaux, assez peu « identifiables » et les relations les unissant ne sont pas toujours traitées à fond. C'est certes dommage mais ce n'est pas vraiment le propos de l’œuvre...

En bref

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