Interview : Eddy Simon et Camille Benyamina (Violette Nozière)

Eddy Simon, scénariste, et Camille Benyamina, dessinatrice, répondent à nos questions à propos du très bon one-shot « Violette Nozière », édité par Casterman.

 

BDS : Eddy Simon, vous êtes scénariste, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce choix : pourquoi Violette Nozière ? D’où vient l’intérêt que vous lui portez ? Est-ce le film de Claude Chabrol, les écrits d’époque, notamment ceux des surréalistes qui ont beaucoup écrit sur elle qui vous ont influencé ?

Eddy Simon : J’ai déjà moi-même écrit sur Violette Nozière pour un livre sur des affaires criminelles et j’avais envie de faire un scénario de bande dessinée sur ce personnage qui me paraissait intéressant et j’avais la sensation que surtout tout n’avait pas été dit autour de Violette Nozière. Vous parlez notamment du film de Claude Chabrol, nous, notre vision de Violette Nozière est radicalement différente de la sienne. Dans le film, Isabelle Huppert est plutôt taciturne ce qui n’est pas du tout le cas dans notre bande dessinée. Pour nous, Violette Nozière est plutôt quelqu’un qui est en représentation, sur une scène de théâtre, qui pour vendre ses petites histoires et raconter ses mensonges a eu besoin de leur donner un peu d’ampleur. Je pense que notre personnage est beaucoup plus théâtral, beaucoup plus glamour d’une certaine manière et surtout beaucoup plus dans la séduction. C’est une grande séductrice, Violette Nozière.

 

BDS : Vous dites avoir déjà écrit pour un recueil d’affaires criminelles, sur l’affaire Violette Nozière. Or vous êtes journaliste, avez-vous donc effectué un travail d’investigation en amont, notamment en consultant les minutes du procès, les coupures de presse et écrits d’époque?

Eddy Simon : Oui, j’ai essayé de lire tout ce que je pouvais trouver sur Violette : des écrits d’écrivains, Colette notamment a écrit sur Violette Nozière, les surréalistes bien évidemment, plus toutes les coupures de presse de l’époque et puis il y a eu un commissaire de police, Jean-Marie Fitère, qui a écrit sur Violette Nozière, qui a écrit les choses point par point, ce qui donne vraiment une vision d’ensemble de l’affaire.

C’est vrai que c’est un personnage qui a déchainé les passions à l’époque donc il y a eu énormément d’écrits autour d’elle, de documents qui parfois la défendaient, parfois la condamnaient avec beaucoup de véhémence, notamment de la part de Colette qui la condamne à mort elle-même.

Ce qui est un peu particulier, c’est que je me suis aperçu, à la lecture, que les hommes ont plus facilement défendu Violette alors que les femmes se montraient beaucoup plus cruelles avec elle et réclamaient sa tête. Un vrai paradoxe, parce que finalement Violette était quelque part le symbole d’une envie de liberté, d’émancipation et ça n’a pas du tout été interprété comme ça. Je crois qu’elle a surtout bousculé une société française qui, à l’époque, n’en demandait pas tant. Avec Violette, la France découvrait qu’un enfant pouvait avoir envie de tuer ses propres parents, ce qui remettait en cause toute une éducation où les parents ne cadraient plus leurs enfants et les laissaient finalement libres de commettre l’irréparable. Heureusement, il n’a que Violette qui a tenté de tuer ses parents !

 

BDS : Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour l’histoire de Violette Nozière?

Eddy Simon : Déjà parce que la bande dessinée permettait de s’offrir un joli décor des années trente. Mais c’est surtout ma rencontre avec Camille qui m’a décidé. Sans Camille, cet album n’aurait jamais vu le jour, c’est vraiment un album que j’ai scénarisé avec Camille en tête. Je souhaitais un album tout en douceur, tout en subtilité et quand on voit le résultat c’est plutôt réussi !

J’avais déjà travaillé avec Camille sur un collectif et dans une des histoires qu’on a réalisée ensemble, il y a une case qui pour moi était très forte : un regard. Je me suis dit que c’est ça que je voulais retrouver pour Violette Nozière. C’est une jeune fille qui paraît par moment parfaitement inoffensive et sur deux ou trois cases, à travers un regard, elle devient très inquiétante. Il y a une case notamment où Violette regarde son reflet dans un miroir alors qu’elle se maquille et malgré qu’il n’y ait aucun texte, cette case suffit à comprendre que Violette bascule et qu’elle va aller au bout de son envie, au bout de sa quête. Il n’y a que Camille qui pouvait faire ça.

 

 

BDS : Vous présentez Violette Nozière comme une enfant en représentation, victime finalement d’un laxisme éducatif qui lui autorisait en quelque sorte son comportement peut-être même son acte. Vous auriez probablement été un bon avocat de la défense en lui trouvant des circonstances atténuantes, non ?

Eddy Simon : Je crois que c’est ce qui est en train de se passer. Je crois que je l’aurais défendue car je lui trouve moi-même de nombreuses circonstances atténuantes. Je pense qu’elle est victime de cet entourage qui la laisse agir, ne lui pose aucun cadre, ne lui fait pas remarquer qu’elle est en train de mentir, ça sert tout le monde, consciemment ou inconsciemment. Je pense que tout le monde se rend compte de ce qui se passe et même son petit copain, Jean Gabin qui est finalement un gigolo et qui l’appelle « Vilaine chérie », ça veut tout dire, ça veut dire qu’il sait ce qui est en train de se passer mais comme il en tire des bénéfices pécuniaires, il ne fait rien. Et puis il y a cette relation étrange qu’elle a avec sa mère. Cette femme semble terrorisée mais en même temps, elle ne met jamais de cadre à sa fille : elle lui promet des sanctions qui ne tombent jamais, elle trouve toujours des petits arrangements avec elle.

En plus, on ne l’explique pas dans la bande dessinée mais dans le dossier de fin, Violette, qui n’a que seize ou dix-sept ans à l’époque, se déscolarise et ça ne pose question à personne. Ses parents ne s’étonnent pas de ne plus la voir travailler, plus faire ses devoirs, plus ouvrir ses cahiers. Le collège envoie des courriers qu’elle détourne et les parents ne s’étonnent pas même de ne pas voir de bulletin scolaire. Violette sort comme elle veut, elle entre comme elle veut.

Je trouve en ça que l’entourage de Violette n’a pas joué son rôle. Il aurait dû lui mettre le nez dans ce qu’elle était en train de faire et lui faire comprendre qu’elle est une menteuse, qu’elle est une voleuse aussi car elle vole très régulièrement ses parents qui lui signalent deux ou trois fois mais préfèrent croire leur fille qui leur dit qu’elle en a besoin pour voir un hypothétique médecin. Ils prennent ça pour argent comptant.

C’est pareil pour sa façon de s’habiller : chez elle, elle s’habille comme une petite fille – d’ailleurs Camille a fait ça très bien car on dirait vraiment une fillette- mais dès qu’elle franchit le seuil de la porte, elle récupère les vêtements qu’elle a caché dans l’immeuble : son manteau de fourrure, son maquillage et son chapeau cloche, et sort de l’immeuble comme ça. Les voisins la croisent ainsi régulièrement, il y a même une voisine qui refuse que son fils parle à Violette parce que c’est une trainée à ses yeux, tout le monde sait qu’elle mène une double-vie et personne n’intervient ni n’alerte les parents. Tout le monde laisse finalement faire.

Je pense que les choses auraient pu se terminer tout à fait différemment si les parents avaient joué leur rôle de parents.

 

  

BDS : Avec Violette Nozière vous faites une entrée remarquée dans la bande dessinée. Comment passe-t-on du jeu vidéo, domaine dans lequel vous travaillez à BD ?

Camille Benyamina : C’est ma première grande bande dessinée en tant qu’auteur principal avec Eddy Simon mais j’ai déjà participé à trois collectifs, fait des couvertures de livres mais là, c’est du sérieux…

Je travaille encore dans le domaine du jeu vidéo, à temps plein dans une compagnie mais ma grande passion c’est l’illustration et la BD. Je sors d’ailleurs d’Emile Cohl.

 

BDS : Concrètement, comment travaille-t-on avec Eddy Simon ? Il vous fournit un scénario, vous répondez par des dessins? Vous discutez ensemble ? Vous apportez vous-même des choses ?

Camille Benyamina : C’est vraiment un échange qui se passe. Il m’envoie quand même la première version du scénario, vraiment détaillée, case par case avec les effets, points de vue, dialogues…Ensuite je fais un storyboard de tout l’album et je le lui soumets. C’est la première étape mais c’est tout petit, c’est juste pour voir les points de vue, effets, zoom et changement par rapport au scénario.

Ensuite, je fais le crayonné sur grand format et le final en noir et blanc mais je le soumets toujours à Eddy au fur et à mesure pour avoir son aval. Et enfin la mise en couleur. Mais là aussi je le soumets encore pour savoir si tout va bien.

 

BDS : Est-ce que vous connaissiez l’histoire de Violette Nozière avant qu’on vous la soumette ?

Camille Benyamina : J’en avais entendu parler mais je ne connaissais pas dans les détails. C’est Eddy qui m’a envoyé le synopsis, qui m’a parlé d’elle et j’ai fait des recherches de mon côté, vu le film de Claude Chabrol, une fois pas plus pour ne pas être influencée. Son histoire m’a tout de suite séduite. Je la trouvais incroyable. Elle m’a subjuguée au point que j’ai vraiment eu envie de la dessiner.

 

BDS : Vous nous avez immergés, avec vos dessins, dans un Paris des années trente très bien restitué tant dans l’environnement que les costumes... Comment avez-vous procédé ? A partir de photos, de documents d’archives ?

Camille Benyamina : Eddy m’a envoyé beaucoup de photos d’archives. De mon côté, j’ai vu des films en rapport avec les années trente pour voir un peu l’ambiance et les costumes. J’ai même été jusqu’à chercher des objets des années trente pour voir à quoi ressemblaient ne serait-ce que les cafetières ! Donc oui, beaucoup de recherches.

 

BDS : Depuis la sortie de l’album, votre talent n’a pas dû échapper à grand monde, aussi, Camille, avez-vous été déjà contactée pour d’autres projets ?

Camille Benyamina : Merci beaucoup, c’est très gentil. C’est toujours agréable d’entendre que les gens aiment notre travail surtout que c’est pour moi le premier et j’appréhendais, je ne savais pas du tout comment ça allait être accueilli et là, c’est le bonheur, tout le monde nous fait des compliments, même si tout le monde n’adhère pas à notre point de vue dans le scénario. Alors merci.

Pour ce qui est des projets à venir, eh bien nous travaillons avec Eddy sur un nouveau projet dont le scénario et le storyboard sont terminés et là, j’entame le crayonné. Ce sera une adaptation d’un roman de Malika Ferdjoukh qui s’intitule « Chaque soir à 11 heures ».

Eddy Simon : C’est une bande dessinée qui se passe à Paris en 2014. C’est une histoire romantico-policière dirons-nous.

 

BDS : Avec une activité à plein temps à côté, quel a été votre rythme de travail sur cet album ?

Camille Benyamina : Intense ! Je lui ai consacré deux ans. Après mes huit heures de travail, je travaillais dessus entre trois et cinq heures chaque soir. Mais c’est ce que j’aime faire, alors, je suis motivée !

 

BDS : Et vous, Eddy Simon, combien de temps avez-vous consacré au scénario ?

Eddy Simon : J’ai dû passer à peu près un mois et demi sur le scénario, sachant qu’après le scénario se retravaille en fonction aussi du storyboard, avec Camille qui me fait des suggestions, et aussi avec le recul quand je m’aperçois qu’il y a un dialogue qu’il faut que je peaufine…Donc le travail continue de se faire aussi tout le temps de la réalisation de l’album, ce qui n’est pas plus mal.

Camille Benyamina : Heureusement que ce n’est pas fixe, même pour moi, parce que je me sentirai bloquée. Avec Eddy, il n’y a pas eu de problème, il est vraiment ouvert au changement, changement de dialogue, changement de plans…C’est très agréable de pouvoir modeler.

 

BDS : Êtes-vous satisfaite du rendu des couleurs à l’impression?

Camille Benyamina : Oui, oui. Il y a eu beaucoup d’essais d’impression, de tests de couleur pour faire attention au  contraste qui peut sortir bien sur l’ordinateur avec une belle luminosité mais être finalement plombé sur papier. On a dû retravailler quelques planches.

 

BDS : A propos des couleurs, avez-vous cherché à produire un effet particulier ? Vos dessins ne sont pas sans évoquer les vieilles cartes postales tant au niveau de l’époque choisie et son code vestimentaire qu’au niveau des couleurs.

Camille Benyamina : On me demande souvent pourquoi j’ai utilisé des couleurs un peu sépia, un peu pastelles. Ce n’est pas forcément calculé, c’est ce qui m’est venu. J’aime bien le côté un peu vaporeux. Ce n’était pas fait pour coller au plus près à l’histoire, c’était davantage un ressenti.

Eddy Simon : Et ça colle parfaitement à l’époque et à l’idée que Violette se fait de Paris, qu’elle sublime. Son environnement familial est un peu plus terne, on le sent plus petit. On comprend qu’elle ait besoin d’exploser, d’aller à l’extérieur. 

Finalement Violette c’est une jeune fille qui rêve du prince charmant et qui a envie de consommer. Il lui faut donc trouver de l’argent pour s’acheter des vêtements, boire des pots dans le quartier latin avec ses amis,  faire la folle avec son amie Maguy et avoir un prince charmant qu’elle va rendre heureux. C’était important qu’on ressente ça dans l’album et le ressenti de Camille colle parfaitement à cette ambiance et à cette volonté d’avoir un Paris un peu magnifié.

 

BDS : Camille, Eddy, merci.

Eddy Simon et Camille Benyamina: Merci à vous, pour votre enthousiasme et pour l’intérêt porté à notre travail.

 

Interview réalisée par Lauriane et Lison.

Source:

Lauriane et Lison

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