Chronique : Poison City T.1

Découvrez la dernière oeuvre en date de Tetsuya TSUTSUI  

 

Tokyo, 2019. À moins d’un an de l’ouverture des Jeux olympiques, le Japon est bien décidé à faire place nette afin de recevoir les athlètes du monde entier. Une vague de puritanisme exacerbé s’abat sur tout le pays, cristallisée par la multiplication de mouvements autoproclamés de vigilance citoyenne. Littérature, cinéma, jeu vidéo, bande dessinée : aucun mode d’expression n’est épargné. C’est dans ce climat suffocant que Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lance un peu naïvement dans la publication d’un manga d’horreur ultra-réaliste, Dark Walker. Une démarche aux conséquences funestes qui va précipiter l’auteur et son éditeur dans l’œil du cyclone...

 

Titre : Poison City T.1
Editeur français : Ki-oon
Date de sortie : 12/03/2015
Dessinateur : Tetsuya TSUTSUI
Scénariste : Tetsuya TSUTSUI

Série terminée en 2 tomes

 

Poison City est la dernière collaboration de Tetsuya TSUTSUI avec les édition Ki-oon et traite d'un sujet brûlant et d'actualité : la censure.

Poison City peut-être considéré comme un manga d'anticipation puisque l'histoire prend place au Japon en 2019. Mais tout ce qui est raconté n'est qu'une sorte d'extrapolation de la politique de censure en vigueur au Japon à l'approche des jeux olympiques qui se dérouleront à Tôkyô en 2020.

Une fiction plus vraie que nature

Le manga démarre sur une histoire de cannibalisme causé par un virus. Mais au bout de quelques pages, on comprend que ceci n'a rien à voir avec la thématique de Poison City puisqu'il s'agit seulement d'un jeune homme, Mikio HIBINO, qui présente un projet de manga à son éditeur. On bascule donc subitement dans une sorte de Bakuman puisqu'on découvre les coulisses de la création d'un manga. Mais ici, l'auteur ne va pas s'attarder sur les difficultés purement techniques comme les délais à tenir par exemple, mais va pointer du doigt le problème de la censure.

© Tetsuya Tsutsui / Ki-oon

 

Ce qu'on ne sait pas en entamant cette série, et qu'on apprend tout à la fin du manga grâce à un texte intitulé "Les origines du projet", c'est que Tetsuya TSUTSUI a lui-même été victime de la censure au Japon avec son oeuvre Manhole. En effet, sans qu'il le sache, son oeuvre a été classée dès 2009 comme "oeuvre nocive pour les mineurs" par l'agence pour l'enfance et l'avenir du département de Nagasaki. Quand il l'a appris en 2013, il a bien sûr réagi et a voulu comprendre comment étaient choisies les oeuvres.

Sous couvert d'une fiction, l'auteur nous raconte des choses bien réelles et les dérives que cela pourrait engendrer dans un futur très proche. Il imagine donc qu'une loi sur un système de classification des ouvrages dangereux a été votée : "La loi pour une littérature saine". La force de cette histoire est qu'elle est largement plausible et donne matière à réfléchir.

 

Liberté d'expression

Bien évidemment, quand on parle de censure, on parle également de liberté d'expression. Et c'est bien là la thématique principale de ce manga engagé. L'auteur a eu la bonne idée de prendre les jeux olympiques de Tôkyô en 2020 comme une sorte déclencheur chez les autorités du pays.

En effet, un des membres du conseil chargé de décider du telle ou telle oeuvre doit être retirée de la vente explique qu'à l'heure où tous les regards sont braqués sur le Japon, ils ne pouvaient plus se permettre de voir leur "bonne réputation" entâchée par des oeuvres jugées obscènes ou trop violentes.

 

© Tetsuya Tsutsui / Ki-oon

 

Il faut donc à tout prix que le pays paraissent irréprochable quitte à éradiquer toutes les oeuvres gênantes. Mais cela ne vaut pas que pour les mangas. Une scène nous montre la démolition de la statue de "l'enfant qui urine" sous prétexte qu'il exhibe son sexe en public. L'auteur pousse à l'extrême sa théorie pour montrer que tout peut être sujet à censure, ce qui peut faire froid dans le dos.

On sent bien que Tetsuya TSUTSUI défend bec et ongles la liberté d'expression en tant qu'artiste mais cela ne l'empêche pas d'expliquer les points de vue de ceux qui censurent et parfois, cela est même convaincant, notamment lorsque les membres du conseil parlent d'une oeuvre qui serait, d'après eux, une apologie de l'inceste et de la pornographie infantile, sujet brûlant au Japon. Mais l'objectif de l'auteur est avant tout de nous démontrer qu'on peut voir le mal partout et que les limites sont floues.

Mais l'inquiétude de l'auteur transparait à travers le mangaka de cette histoire car celui-ci est obligé de modifier ses histoires afin qu'elles passent à travers les mailles de la censure. Petit à petit, son oeuvre est dénaturée car il ne peut pas raconter ce qu'il veut : une véritable atteinte à la liberté d'expression.

 

Règlement de comptes

Quand on sait ce qui a poussé l'auteur à écrire ce manga, on ne peut s'empêcher de se dire que c'est une sorte de "vengeance" vis à vis de ce qu'il a vécu avec la classification d'un de ses mangas en "oeuvre nocive". Une vengeance, peut-être, mais pas gratuite. L'auteur ne se contente pas de se plaindre de son sort mais expose le point de vue des deux partis et surtout ses inquiétudes pour l'avenir : qu'une poignée d'hommes et de femmes décide de ce qui est bon ou mauvais pour nos enfants sans que les auteurs incriminés aient leur mot à dire.

En écrivant Poison City, Tetsuya TSUTSUI répond de la meilleure des manières à ce qu'il considère comme une injustice et une atteinte à la liberté d'expression.

 

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