Viens Dans Mon Comic Strip : Plus cancéreux que moi, tu meurs !

Jim nous parle d'un monument des comics de super-héros : la mort de captain Marvel

LA MORT DE CAPTAIN MARVEL

Plus cancéreux que moi, tu meurs !

 

« Les super-héros deviennent adultes ». Vaste tarte à la crème de la critique quand elle décide de s’introniser spécialiste. On ne répétera jamais que cette belle ânerie, dont nul bon sens ne semble capable de venir à bout, témoigne surtout de la méconnaissance du sujet. Tant que les gens qui s'en servent ne lisent pas les comics dont ils parlent, elle a encore de beaux jours devant elle. Chaque génération de lecteurs a son propre jalon qui témoigne du caractère adulte du genre. Pour moi, c’est La Mort de Captain Marvel.

Les super-héros ont toujours été adultes. Pour ma génération, les problèmes d’alcool de Tony Stark ou de couple de Hank Pym en sont les témoins. Pour la génération d’avant, c’est l’implication sociale de Green Lantern et Green Arrow sous l’élan de Denny O’Neil et de Neal Adams. Pour les premiers lecteurs de Superman, c’est sans doute son activisme vis-à-vis des marchands de canon et des politiciens corrompus. Les « super-héros devenus adultes », c’est un marronnier tout juste bon à alimenter les pisse-copies des rédactions avec du prêt-à-penser facile.

La « bande dessinée adulte », elle aussi, est un raccourci de pensée. Pour moi, elle évoque des magazines de franco-belge à l’humour gras, à la violence affichée et aux héroïnes aux bustes abusivement généreux. Du sexe et de la violence (comme USA Magazine s’amusait à l’étaler en couverture de certains de ses numéros spéciaux). Somme toute, c’est assez logique. La bande dessinée a longtemps été (et encore maintenant), dans l’esprit de beaucoup, réservée à un public d’enfants. À qui l’on épargne la représentation d’une violence excessive ou d’un sexe explicite. Fatalement, si l’on adresse à des « grandes personnes », on en profite pour représenter ce qui n’est pas permis d’ordinaire. La conséquence, ce n’est alors pas une bande dessinée adulte, mais une bande dessinée adolescente, boutonneuse, à peine pubère et pleine de sève, qui s’intéresse à la bagarre et aux gonzesses. Ado, ce n’est pas adulte.

Tout cela mélangé m’a amené, depuis de longues années, à considérer la bande dessinée américaine mainstream (grosso modo, le super-héros) comme bien plus adulte que la prétendument « bédé adulte » hexagonale.

Et La Mort de Captain Marvel y est sans doute pour beaucoup. Sorti au printemps 1983, il arrive dans mes petites mimines tremblantes d’émotion deux ans après mon grand plongeon dans le monde des super-héros. En deux ans, j’avais déjà complété deux autres années d’aventures chez Lug, et je savais que Tony Stark souffrait de boisson. J’avais assisté aux problèmes de sous de l’Araignée ou de logement des Fantastiques. Bref, je savais que les super-héros étaient adultes.

L’album paru chez Lug est le deuxième de la collection Top BD*, et il correspond au premier « Marvel Graphic Novel ». Initiée par Archie Goodwin, cette série d’albums souples propose des récits d’un seul tenant, au propos ambitieux. Certains se situent dans l’univers des super-héros, et d’autres sont des créations, marquant un premier pas de l’éditeur sur le terrain du « creator owned ». Death of Captain Marvel, de Jim Starlin, sort en 1982.

Chose amusante, la création des « graphic novel » (chez Marvel, mais aussi chez DC, qui lance sa propre collection en 1983) publiés par les éditeurs correspond à la confluence de deux pressions extérieures : d’une part la création de petites structures éditoriales qui offrent un statut plus favorable aux auteurs en leur proposant notamment le contrôle éditorial de leur création, et d’autre part l’influence de la bande dessinée franco-belge qui, sous l’égide du scénariste Michel Greg pour le compte de Dargaud, avait tenté une percée sur le marché américain au début de la décennie.

L’influence franco-belge se fait d’ailleurs sentir dans le rendu graphique de l’album. Jim Starlin en réalise scénario et dessin, comme souvent, mais également encrage et couleurs. Le rendu des matières, un trait fin sur des taches grisâtres, n’est pas sans évoquer le Bilal première manière qui commençait à marquer le paysage franco-belge.

 

Starlin déploie une narration impeccable, laissant de temps en temps s’exprimer des pleines pages et des planches silencieuses au milieu d’un rythme sobre et d’une caractérisation d’une grande finesse. Son trait est irréprochable, sa maîtrise de l’anatomie est parfaite. Il dessine aussi bien que du temps de ses Captain Marvel ou de ses Warlock, des travaux que, dans les années 1990, il trouvera maladroits mais pleins d’énergie (comme il le dit dans une interview accompagnant la promotion de Breed). Il n’a pas encore entamé l’évolution qui mettra en valeur ses défauts et ses tics, mais il contrôle les différents aspects du rendu visuel. Il se trouve donc à un tournant de sa carrière, et livre certaines des planches les plus réussies de toute sa production. Et un récit qui se tient parfaitement, d’un équilibre redoutable, bien plus convaincant encore que L’Odyssée de la Métamorphose.

Le récit commence alors qu’après une escarmouche, Mar-Vell (son nom Kree…) est saisi d’une quinte de toux persistante. Ses amis s’inquiètent un instant, puis oublient. Mais la vérité est là : le bon capitaine est atteint d’un cancer, contracté après un combat contre Nitro. Le « roman graphique » est donc ainsi connecté à la série régulière, plus précisément au dernier récit que Starlin a réalisé seul (cédant la place à ses deux potes, Steve Englehart et Al Milgrom). D’une certaine manière, en faisant une suite directe à sa propre prestation, il rédige l’histoire ultime du capitaine, comme s’il reprenait là où il voulait aller à l’époque. Avait-il envie de raconter cette histoire quand il travaillait sur la série (et l’affaire aurait-elle mené à son départ) ? Ou bien l’histoire lui est-elle venue ensuite ?

Cette dernière solution semble la plus logique, l’album faisant écho au cancer de son père, que le bédéaste vivait très mal. Il y a deux obsessions récurrentes chez Starlin : l’agonie de son père et le Viêt-Nam (deux facettes du thème central de son œuvre, la mort). On peut fort bien imaginer que le chagrin personnel ait ramené à la surface des idées avec lesquelles il jonglait peut-être à l’époque où il travaillait sur Captain Marvel.

Je me souviens avoir remonté la rue en feuilletant l’album de Lug. J’avais douze ans. Je tourne les pages rapidement, en regardant les scènes, persuadé qu’à la fin il allait s’en tirer. Mais en fait, non. Je me tourne vers ma mère, je lui montre une page, et je suis dis « Regarde, Captain Marvel a le cancer, et il est mort, pour de vrai ». Ce à quoi elle me répond, avec une sagesse qui m’accompagne encore « tu sais, même les héros peuvent mourir ».

Le récit, transpirant d’une émotion à peine contenue par une narration contemplative, aligne des moments forts. Eros qui s’étonne de voir Mar-Vell, qu’il estime trop jeune pour rédiger ses mémoires, tenir un journal. Le Général Zedrao, gradé des Skrulls, apportant une médaille en l’honneur du valeureux ennemi à terre. Les scientifiques de la Terre, parmi lesquels Reed Richards ou Hank McCoy, témoignant de leur impuissance. La liste des noms que les différentes races stellaires donnent au cancer, témoignant du fait que les extraterrestres de l’univers Marvel ne sont pas qu’une vue de l’esprit, puisqu’ils ont des mots pour leurs maladies. Le déni de Rick Jones. Le désarroi de Spidey. Et bien entendu la veillée funèbre, d’une noirceur sans précédent.

L’album, avant de se clore sur un suaire dont on recouvre un trépassé, livre une dernière scène allégorique où un Captain Marvel arpente un au-delà métaphorique où un cœur gigantesque cesse lentement de battre. Là, dans ce monde onirique, il est accueilli par la mort sous ses atours de belle brune mutique, et par Thanos. Dans la mort, les deux adversaires se retrouvent, dans une compréhension mutuelle des secrets indicibles, la mort balayant toute forme de manichéisme face à l’immanence.

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* L’album, chose rare, sera réédité dans le Top BD n°29. Ça et les multiples réimpressions de l’Avengers Annual #7 font de Starlin l’auteur le plus réédité chez Lug, après Ditko, Kirby et Claremont. Pas étonnant qu’il ait tant marqué le public…

 

Source:

Jean-Marc Lainé, auteur, traducteur et responsable éditorial dans le monde des comics. Il a écrit récemment le livre : Comics & Contre-Culture, disponible à ce jour.

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