Interview de Zilo (Dreamaker)
Rencontrée lors de la Japan Expo 2023, découvrez notre interview de Zilo, l'autrice de Dreamaker édité chez Ki-oon.
Rencontrée lors de la Japan Expo 2023, découvrez notre interview de Zilo, lauréate du 3ème tremplin Ki-oon et autrice de Dreamaker, avec laquelle nous revenons sur son parcours et sur ses différentes oeuvres :
Sanctuary : Bonjour Zilo, peux-tu te présenter pour le réseau sanctuary ?
Zilo : Bonjour, je suis Zilo, la mangaka du manga Dreamaker édité chez les éditions Ki-oon.
S : Avant de parler de tes œuvres, tu as un profil atypique puisque tu es une artiste qui est passée par le Japon, peux-tu nous expliquer ce que t’a apporté cette expérience pour ton art ?
Z : En fait, je suis partie étudier au Japon parce que j'ai fait une école à Paris qui était vraiment… très mauvaise. Je ne dirai pas son nom car elle ne le mérite pas. Donc, arrivée en troisième année, il y avait un échange où je pouvais faire ma dernière année au Japon dans l’école avec laquelle ils étaient en relation.
S : Et cet échange t’a-t-il apporté quelque chose de nouveau ou ça a juste été une découverte culturelle ?
Z : Je n’ai pas vraiment eu de découverte culturelle, car mon père, avant que je naisse, a vécu au Japon…
S : En effet !
Z: Eh oui, ça part de loin. Mais [le voyage] était surtout pour le côté technique car dans l’école où j’étais on m’a appris à cracker les logiciels alors qu’au Japon, on m’a appris à m’en servir. (Rires)
S: Ah oui ok… En fait, l’école ne t’a jamais appris le métier…
Z: Ils ont fait même plus, ils m’ont appris à être un bandit…
S: [Rires] Alors merci le Japon !
Z : Oui merci le Japon car j’ai pu être plus dans les règles. (Rires)
S : Avant de parler de Dreamaker, j’aimerais parler de Birds Children, l’histoire que tu as proposée au tremplin de Ki-oon. C’est un récit poignant avec un storytelling particulier (la narration est silencieuse), peux-tu nous expliquer ce choix ? Était-ce un galop d’essai ou une volonté pour transmettre les sentiments ?
Z : À la base c’est une histoire que j’avais pour participer à un concours où il fallait que le récit soit muet. Ça s'appelait “Silent Manga Audition”. C’était un concours japonais ouvert au monde entier. Je l’avais fait [en suivant] cette règle. Et donc j’ai repris cette histoire pour Ki-oon.
En fait, je trouvais que c’était très bien qu’il n’y ait aucune parole, du coup, j’ai décidé de le garder car ça s'inscrivait bien dans l’histoire. Donc ça m’allait très bien.
S : Effectivement, le fait de passer les sentiments par les dessins, je trouve que ça amplifie les sentiments, et, parfois, les paroles ont tendance à les atténuer dans certains cas.
Z : C’est ça.
S : Et dans le cas de ce récit, grâce aux dessins qui sont très efficaces, ça fonctionne parfaitement !
Z : Merci.
S : Donc au final, ça part d’une figure de style imposée qui t’a permis de t’exprimer ainsi ?
Z : C’est ça, j’adore tester ! C'est comme le matos et tout, j’aime bien tester des nouvelles choses. Et là, ce concours m’a mis une contrainte que, peut-être, je n’aurais jamais testée et je trouvais que c’était parfait comme ça… Donc je l’ai gardé.
S : D’ailleurs, ça a bien fonctionné puisque tu as gagné le concours Ki-oon. Ce dernier n’est pas le seul auquel tu as participé, puisque tu as été seconde au concours Magic.
Z : C’est ça.
S : Concours qui t’a permis de publier une ébauche de Dreamaker qui a été publiée sur le site de Shonen plus !
Z: Oui, tu as fait de bonnes recherches.
S : Donc Dreamaker c’est une idée qui existe depuis longtemps finalement ?
Z : Oui. Depuis le collège…
S : Ah oui donc c'est vraiment l'œuvre de ta vie.
Z : Oui, en quelque sorte, c’est la série que j’ai dans mes bagages depuis un certain moment. Elle ne ressemblait pas à ça à la base. Elle a juste mûri en même temps que moi.
S: Ce qui nous amène donc sur Dreamaker, peux-tu nous parler de sa genèse ?
Z : Alors je le dis à chaque fois, je vais passer pour une grande fan-girl alors que non pas du tout, j'aimais beaucoup Tetsuya Nomura et j’étais très influencée par Final Fantasy, surtout le 8. Donc j’étais partie avec un système d’écoles qui allaient se battre car, [dans cet opus], on est à Balamb Garden University, on découvre que c’est un vaisseau et que toutes les écoles en sont également, donc il y avait ce petit côté-là [à la base]. Mais le truc qui est resté, c’est le folklore. Quand j’étais déjà au collège, Dreamaker ne s’appelait pas comme ça mais se nommait “Imaginary Folklore”, une chanson de Nujabes, car j’étais aussi très fan. Et Kiio s'appelle ainsi car j’adore Dir En Grey (le chanteur du groupe de metal japonais se nomme Kyo).
S : Ah oui, beaucoup de bonnes références.
Z : Voilà ! (Rires) Ca s’appelait donc “Imaginary Folklore” parce que je voulais essayer d'inclure le folklore français voire européen dans mon œuvre. C’est le truc qui me tenait à cœur et c’est d’ailleurs resté dans Dreamaker. Par contre… Tout le reste a changé.
S: Justement, ce premier volume paru chez Ki-oon prend son temps pour installer l’univers, on ressent une vraie volonté de nous poser des personnages, j’ai même l’impression que la série nous lance avant tout dans un rite initiatique où Kiio va devoir affronter ses peurs à travers cet univers, ai-je tort ?
Z : En fait, il y a de ça. Moi ce qui me saoulait, c’est que dans la plupart des shonens, surtout [ceux] de “Shonen Jump”, les nekketsu, on veut essayer de faire intervenir le pathos en 2 cases. [Avec] moi, ça ne marche pas, c'est-à-dire le héros qui va perdre son mentor, son grand-père et tout… on est censé pleurer… comprendre sa quête de l’aventure pour sauver le monde parce que son grand père voulait qu’il sauve le monde et comme il est gentil : il va le faire.
Oui mais son grand-père, on l’a vu 2 cases…. En fait, tu as versé 2 / 3 larmes et après on n’en entend plus parler. Et moi, je ne l’ai jamais compris. Je suis là : “pourquoi tu veux sauver le monde ?” Je ne le comprends pas [pleinement]. Ton grand-père t’a dit qu’il t’a élevé et ça suffit ? Enfin voilà, c’est que des trucs de ce genre.
Dans mon cas justement, il y en a beaucoup qui se sentent un peu perdus car ils sont tellement habitués aux codes des nekketsu qu’ils disent « oui mais alors c’est quoi le but de l’histoire car on ne connaît pas la volonté du héros.»
Mais ça va arriver justement ! Je suis en train de faire en sorte que les gens puissent comprendre que lorsque Kiio partira à l’aventure, ils le comprendront totalement. Car ils verront qu’il s’est passé plein de choses dans sa vie… Ils se seront attachés au personnage et comprendront ses souffrances et le pourquoi de sa quête.
S : Donc c’est bien ça, tu prends le temps pour bien poser les bases.
Z : Oui, c’est pas mal car je sais qu’il y en a beaucoup qui disent qu’ils sont un peu frustrés ou qu’ils perdent leurs repères peut-être parce qu’ils lisent beaucoup de nekketsu notamment, car dans les comics ou dans la BD Franco-Belge, italienne, manhwa, etc., c’est raconté différemment.
Donc y’en a beaucoup qui disent que peut-être je ne sais pas où je vais.
Mais non, quand j’ai proposé mon projet à Ki-oon, l’éditeur a voulu que j’écrive le début et la fin de l’arc. Donc je vois où je vais, c’est juste que je veux que les gens s’attachent aux personnages et se disent : « oui, d’accord, là je comprends sa motivation ».
S : Du coup, tu abordes un univers qui tourne autour du rêve, domaine qui a été abordé plusieurs fois (Dreamland, Sandman, etc.), pour l’instant, nous n’avons pas encore pleinement plongé dedans, mais quelle est son importance à tes yeux ? Est-ce un bien nécessaire dans cet univers ? Le fait de ne pas avoir de rêves peut-il être néfaste dans cet univers ?
Z : Pour l’instant, moi-même je continue de me poser la question. Dreamaker c’est aussi un peu mon introspection. Donc la série va évoluer en même temps que moi.
Personnellement, j’ai, à la base, décidé de parler des rêves car j’étais aussi frustré que le grand-père (le créateur dans Dreamaker). Quand j’étais du côté des amateurs, dans les conventions, j’avais un stand où j’avais des fanarts mais j’avais aussi beaucoup de créations originales… qui n’intéressaient pas forcément grand monde. Du coup, j’étais un peu… aigrie (rires) donc j’ai eu l’idée de créer le grand-père et les dreamaker.
C’est pour ça qu’il y a les insomniums et les somniums… En fait, les rêves basiques, c’est un peu les fanarts, les rêves au-dessus ce sont les créations originales qu’on peut trouver justement en convention. En prenant de la hauteur, j’ai trouvé que quand les gens viennent pour acheter une bd, ils viennent pour des bouts de papier sur lesquels il y a des petits dessins, des petits dialogues et pourtant ça les fait super tripper. On adore ça en fait. On consomme, on est à fond, on agrandit nos bibliothèques…
Du coup, les dreamakers représentent les artistes et leurs clients sont les mêmes que ceux qui viennent acheter nos histoires pour chercher à se sortir de leur quotidien et de rêver justement. On a besoin de rêver !
S : C’est super intéressant comme message. Je ne m’attendais pas du tout à cette symbolique. Finalement, c’est une allégorie sur les artistes.
Z : Oui en quelque sorte.
S : C’est bien plus terre à terre qu’il n’y paraît.
Z : Finalement, c’est plus basique.
S : Non justement, je n’avais pas du tout cette vision et maintenant qu’on a cette explication, c’est vraiment très intéressant !
En parlant d’art justement, on perçoit des storytellings assez fous, y-a-t-il une volonté de casser les codes du format et d’aller au-delà du manga ou est-ce simplement le reflet de ton art ?
Z : Avant l’ITW, tu me disais que j’avais un parcours atypique, au pôle emploi, on n’arrivait pas à me proposer de boulot en particulier car on me disait que j’étais trop atypique…
S : Désolé ! (rires)
Z : Non, non, pas du tout ! Ne le sois pas car, au moins, mon côté atypique je peux l’exploiter ici. Et en plus, il est validé ! En fait, c’est juste mon identité. Je sais faire les cases basiques et tout. Il y en a un peu dans Dreamaker quand même car si je déstructure tout le temps, je vais perdre tout le monde. Mais honnêtement, ce n’est pas les cases où je m’éclate le plus. Quand c’est trop simple, je m’ennuie…
En fait… J’ai un problème avec les conventions. (rires) Je pense que je n’aime pas les règles. J’en parlais à ma psy et elle n’était pas surprise ! Je ne les supporte pas : ça m’énerve. C’est mon côté rebelle.
S : Précédemment, nous avions rencontré Olivier Coipel – un auteur de comicbook- qui a aussi cette particularité de casser le storytelling et de réaliser des planches complètement folles mais il nous a expliqué qu’il était trop exigeant avec lui-même et qu’il mettait par moment trop de coeur, ce qui peut lui entrainer des blocages. Rencontres-tu le même genre de problème ou c’est vraiment ta liberté qui s’exprime ?
Z : Les deux. C’est-à-dire que des fois je suis contente, je pars dans mes trips et tout. Mais il y a ma petite voix qui me dit : « attends, il y a d’autres personnes qui vont lire ton œuvre, donc il faut que ça soit aussi lisible pour eux, redescends un peu quand même. »
C’est pour ça que quand je vais finir des story-boards ou des planches, Ahmed (Directeur éditorial de Ki-oon) sera toujours là pour valider et en plus j’ai une amie qui me relit pour vérifier si c’est compréhensible.
S : Dans Bird’s children et Dreamaker, le sujet de la relation parent / fils tient un rôle important. D’ailleurs, certains qualifient Dreamaker comme une œuvre jeunesse mais je ne suis pas d’accord vu les sujets traités. Y a-t-il une volonté de passer un message pour surpasser ces difficultés, de ne pas s’isoler face à ce genre de problème ?
Z : Oui… Le problème c’est que même quand on dit qu’il faut en parler, il y a des gens qui ne sont pas prêts à écouter et même quand il y a des institutions, elles n’aident pas forcément. Donc finalement, il y a beaucoup d'enfants qui sont victimes de ça et abandonnés du système. Vraiment… Plus que ce qu’on croit… Tout ce qui est assistance sociale, juge pour enfant tout ça, [ça ne fonctionne pas vraiment].
Et c’est ça qui est horrible : on dit aux enfants de tout le temps parler, c’est beaucoup d’effort, beaucoup de courage et souvent c’est à leur risque, car ça peut arriver aux oreilles des parents. Donc ça veut dire qu’on les renvoie chez les parents, tout en sachant qu’ils sont au courant que leur enfant a parlé : Vous pensez que ça va bien se passer ?
Finalement, [le message] est surtout de dire, croyez en vous et il n’y a pas que le lien du sang [qui compte]. On peut se trouver une famille avec des gens extraordinaires qui ne sont pas nos parents, nos frères et sœurs. On peut faire de très belles rencontres et on peut les considérer comme notre famille.
S : C’est un magnifique message.
Z : Merci
S : Pour finir, as-tu un dernier mot pour ton public ?
Z : Croyez en vos rêves. C’est comme le goûter du 4h : ce n’est pas réservé qu’aux enfants même si vous aimez le chocolat chaud et pas le café. Vous n’êtes pas un gosse. Et même si on vous traite de gosse, je ne vois pas ce qu’il y a de honteux et même pour les personnes qui ont 80 ans qui n’ont jamais osé… Osez ! Et même si vous dites que vous avez des rêves et qu’on vous rit à la tronche !
J’ai travaillé en école primaire et il y avait des enfants qui avaient la tête dans les nuages… ils étaient un peu traités comme des attardés. Donc, peu importe l’âge, il y a toujours des gens qui ne seront pas contents, donc soyez vous-même. On ne vit qu’une fois mais faites-vous plaisir ! Sincèrement, on ne sait pas ce qui va arriver, alors profitez de votre santé, éclatez-vous, vous n’allez pas forcément devenir ultra millionnaire, mais c’est pas grave : le plus important c’est d’être heureux !
S : Je te remercie pour ce super échange !
Z : Merci à vous.
Interview réalisée et retranscrite par Blackiruah.
Un grand merci à Ki-oon pour avoir permis cette rencontre.
Synopsis :
Les hommes ont perdu la capacité de rêver et, avec elle, une partie de leur âme s’est envolée. Pour pallier ce manque, la seule solution est d’acheter des songes auprès des DreaMakers, des élus capables d’utiliser la magie. La légende raconte même qu’ils auraient terrassé un terrible démon dans les temps anciens ! Le jeune Kiio est fasciné par leurs pouvoirs et passe chaque jour visiter la DreamHouse, le repère du mage de la ville. Plein d’énergie et toujours prêt à faire les quatre cents coups, le chenapan nourrit un secret espoir : obtenir un rêve pour échapper ne serait-ce qu’un instant à la dure réalité…
Commentaires (0)