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Critique de Fredric, William et l'Amazone

par Le Doc le dim. 19 janv. 2020 Staff

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Fredric, William et l'Amazone

Le nom de Fredric Wertham, psychiatre américain d'origine allemande, est bien connu des lecteurs de bandes dessinées américaines pour la croisade qu'il a menée contre les comics et leur influence supposée néfaste sur le jeune lectorat dans les années 50. Un pan  de sa carrière qui a en quelque sorte éclipsé le travail qu'il a effectué dans des hôpitaux new-yorkais, une expérience qui l'a convaincu de l'importance de créer une clinique sociale pour les gens de couleurs à Harlem. Un homme compliqué, qui s'intéressera de manière positive dans les années 70 au monde du fanzinat, sans que cela lui attire la sympathie des fans qui n'avaient pas oublié ses prises de position deux décennies plus tôt.

Psychologue et inventeur (on lui doit le test de pression sanguine systolique qui a abouti à la création du détecteur de mensonges), William Moulton Marston fut quant à lui un défenseur des comics, d'abord à travers un article de la revue Family Circle (signé par une certaine Olive Richard qui n'était autre que sa partenaire Olive Byrne, avec laquelle il vivait une relation polyamoureuse en compagnie de son épouse Elizabeth Holloway Marston), puis avec la création (avec la collaboration des deux femmes de sa vie) de Wonder Woman, en réaction aux critiques sur la violence masculine et soi-disant "fasciste" (sic) de Superman et des autres super-héros. Progressiste, Marston l'était...mais sa réputation n'était pas sans tâches, autant sur le plan professionnel que personnel, comme le démontre l'oeuvre de Jean-Marc Lainé et Thierry Olivier. 

En faisant le portrait croisé des deux hommes, Fredric, William et l'Amazone couvre l'Âge d'Or des comics, de ses prémices à son déclin. Pourtant les débuts de ce projet de longue date (détaillés dans les très intéressants bonus) portaient sur un tout autre sujet, les actes horribles de l'un des plus célèbres serial-killers des Etats-Unis, Albert Fish. Un monstre qui a sa place dans cette bande dessinée (le deuxième chapitre porte d'ailleurs son nom) car Fredric Wertham fut l'expert psychiatrique de son procès.  Cette expérience aurait-elle été déterminante dans la suite des travaux du psychiatre, celle que les passionnés de comics et de leur histoire connaissent si bien ? 

Fredric, William et l'Amazone réussit ce qui fait pour moi un bon biopic, cet équilibre entre ce qui est réellement arrivé et la dramatisation nécessaire pour se laisser emporter par la narration. L'érudition de Jean-Marc Lainé n'est plus à prouver (voir notamment ses essais sur Frank Miller et Stan Lee...ainsi que ses interventions sur le forum Sanctuary) : sa nouvelle bande dessinée est très bien documentée et revient sur les grandes étapes de la vie de Wertham et Marston sans s'enfermer dans le carcan de l'accumulation de faits. Les scènes fictives et leur traitement graphique ont un impact indéniable dans la lecture...et une grande partie d'entre elles s'articulent autour d'un kiosque et de son vendeur qui devient un véritable témoin de l'évolution de son marché comme de celle de la société (une idée qui ne manque pas d'efficacité). La construction du récit, en quatre chapitres de 20 pages (le format actuel des comics), est également bien pensée.

J'ai découvert pour la première fois les dessins de Thierry Olivier dans les pages des pockets en N&B de Semic, sur des épisodes de Zembla par exemple. J'ai tout de suite apprécié son style et ses références. Chaque chapitre est introduit par des savoureux pastiches de couvertures de pulps et de comics et l'influence des EC Comics est bien présente lors des quelques passages à la tonalité plus sombre du récit. Il y a là un beau travail de recherche, un souci du détail, la reconstitution est précise et la technique du lavis donne un beau résultat (tout en laissant judicieusement la place à la couleur en certaines occasions).

J'avoue que c'est un sujet que je connais plutôt bien...mais les différents points de vue adoptés m'ont permis d'apprendre de nouvelles choses (ce qui est toujours appréciable) tout en savourant une  bande dessinée de qualité sur une passionnante période de l'histoire des comics.


En bref

L'album se referme sur un cahier de 20 pages dans lequel Jean-Marc Lainé nous plonge dans les coulisses de la création du bouquin. Des bonus très instructifs à la riche iconographie, entre illustrations, extraits du scénario et documents d'époque.

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