Le vieil homme et la montagne

Après Ailefroide, altitude 3954 dans lequel Jean-Marc Rochette nous contait son amour de la montagne à travers une rude autobiographie, le génial auteur du Transperceneige prépare de nouveau une ascension vers des sommets enneigés avec Le Loup, un titre intense et brut placé sous le signe d'une confrontation qui n'aurait pas déplu à un certain Hemingway.

Avec Le Loup, nous retrouvons la thématique de la  lutte entre l'homme et l'animal. Un combat passionné et haletant entre un berger-montagnard aguerri et un tenace et patient loup blanc. Au niveau du style de dessin, on reste dans la continuité d'Ailefroide avec un dessin hachuré où les regards sont dissimulés sous l'ombre d'un paysage hivernal. C'est à la fois magnifique et mystérieux. Les expressions sont sobres mais sont parfaitement mises en valeurs au sein de ces paysages montagneux qui ne semblent avoir aucun secret pour l'auteur, lui-même passionné d'alpinisme.

Moins vertiginieux qu'Ailefroide qui évoquait avant tout le désir de repousser ses limites, le Massif des Ecrins dans ce nouvel album est ici capté dans les plans panoramiques d'un duel. Plus horizontal en terme de découpage, cette lutte entre le berger et le loup est poussé dans une direction plus terre-à-terre, plus linéaire mais tout autant intense. Le dernier acte, notamment, est des plus haletants et ce jusqu'à un final surprenant et symbolique. 

Plus qu'un combat, Jean-Marc Rochette délivre une leçon de savoir-vivre entre l'homme et l'animal.

Loin de cantonner son récit à une confrontation calibrée tout en huit-clos comme le film Le Territoire des Loups (que je conseille aux amateurs de survie) , le dessinateur-scénariste ouvre également son intrigue sur les rapports plus actuels entre l'homme et l'animal, un rapport qui a tendance à se définir sur un rapport de force souvent excessif qui prive toute cohabitation.

On ne peut qu'être touché par cette bd dans laquelle la voix du narrateur superpose au même plan le berger et le loup, deux êtres  marqués par la vie et qui, derrière leurs férocité de guerrier, cache la même sensibilité.

A sa manière, Jean-Marc Rochette nous conte une belle leçon de respect qui n'est entachée par aucun discours convenue ni effusion. De cette lutte, se détache une morale subtile autour de la cohabitation entre l'homme et l'animal. D'ailleurs, à ce sujet, on ne peut qu'apprécier le mot de fin de Baptiste Morizot, chercheur en philosophie, qui a étudié ce rapport dans son essai Les diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant. Personnellement, je pense que la bd de Jean-Marc Rochette n'a pas besoin de cette clarification finale bien qu'elle s'avère  intéressante et conforte le message de cette bd.

Cet album représente aussi le premier scénario solo signé par l'auteur qui ,jusque-là, a surtout travaillé en collaboration, même dans son œuvre plus intimiste qu'est Ailefroide. Le Loup est une œuvre complète qui a toutefois bénéficiée de l'aide d'Isabelle Merlet à la couleur. Cette dernière a su donner un charme naturel aux paysages du Massif des Ecrins un charme qui s'associe parfaitement au trait hachuré, opaque et buriné de Jean-Marc Rochette, l'assouplissant pour lui donner un charme presque pastorale telle une poésie des saisons.