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Critique de Le droit du sol

par MassLunar le mar. 4 janv. 2022 Staff

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De Pech Merle à Bure : la randonnée symbolique d'Etienne Davodeau

Beaucoup connaissent Etienne Davodeau pour son album Les Ignorants qui est sans doute l'une des références majeures de son style de bd-documentaire. Même si l'auteur a également dessiné de la fiction,  Le droit du sol se situe dans la lignée directe de titres tel que Les ignorants , Cher pays de notre enfance ou encore (et surtout) Rural ! (delcourt, 2001) dont les thématiques, vingt ans plus tard font écho avec Le droit du sol qui retrace ici un nouveau combat entre les hommes du sol et les hommes du capital.

Mais la démarche d'Etienne Davodeau dans cette nouvelle bd édité par nos chers éditeurs de Futuropolis est ici nuancé par un cadre un peu plus intimiste et personnelle à travers... la marche. Cet album est à lire à la fois comme une bande dessinée documentaire dans laquelle l'auteur donne la parole à plusieurs intervenants, à des "randonneurs" qui se joignent à lui le temps de quelques sentiers balisés mais c'est aussi un récit de voyage puisqu'Etienne Davodeau ne parcours pas moins de 800 (!) km entre la grotte du  Perch Merle dans le département du Lot et la commune de Bure dans le département de la Meuse.

Une bonne randonnée continuellement illustré par les croquis d'un Etienne Davodeau qui ne s'arrête pas et fait le point de jonction entre des peintures rupestres réalisées par des Cro-Magnon, il y a plus de 20 000 ans et l'actuel projet d'enfouissement des déchets nucléaires et radioactifs  dans les sous-sols de Bure par le projet Cigeo. Reconnaissons-le , le rapprochement n'est pas facile à faire dans un premier temps si ce n'est une réflexion autour du sol et de l'héritage. C'est une bd documentaire aussi engagée que réflexive dans le sens où le dessinateur, toujours accompagnés d'intervenants, s'interroge sur cet héritage laissé par l'enfouissement des déchets nucléaires mais aussi l'héritage du livre, du dessin... C'est une bd qui parle d'espace et de temps à travers deux types d'héritages laissés par l'homme : d'abord  l'art à travers la peinture rupestre puis l'héritage navrant et menaçant des déchets nucléaires jugé encore et toujours par le gouvernement actuel comme une énergie propre, si propre qu'on ne sait plus quoi faire des déchets qu'elle engendre.

A travers cette randonnée, les paysages forestiers, entre deux bivouacs perchés sur des volcans éteints, entre deux pauses chez un petit cafetier dans un village, en solitaire ou accompagné, Etienne Davodeau dévoile sa passion pour la marche, pour la rando et on devine son enthousiasme durant ses 800 kilomètres. Son style de dessin réaliste capte à merveille cette nature. Alors même que l'auteur a démarré le récit de son voyage peu après cette randonnée dans le confort de son appartement, son dessin possède un très bon degrés d'instantanéité et de vivacité qui nous invite, nous lecteurs et lectrices, à s'orner d'un bon sac de rando, se débarrasser de notre téléphone et prendre la marche en toute liberté. 

C'est donc un Etienne Davodeau plus personnel que nous découvrons dans cet album, loin de se cantonner au simple rôle du dessinateur-interviewer même si on devine aussi le fort engagement de cet artiste au fil d'une œuvre qui a souvent  privilégié ce rapport avec la nature. C'est un titre écrit et dessiné en toute subjectivité dans lequel l'auteur questionne aussi l'héritage de ses livres comme les passages un peu plus méta autour de l'évolution du papier matérialisé auprès de sa directrice d'édition l'évoque.

Durant cette randonnée, Etienne Davodeau invite bon nombres d'interviewés à suivre sa marche ce qui est une mise en dessin très intéressante de ces interviews. Bien sûr, les différents intervenants ne l'ont pas rejoints véritablement durant la randonnée mais Davodeau a téléscopé leurs interviews réalisés avant et après la rando en toute fluidité durant la marche ce qui donne une agréable impression de continuité même si malheureusement le rythme pêche un peu face à des interventions très verbales, certes passionnantes, mais qui nous éloigne aussi du rythme de la marche.

Pour apprécier cet album, il est donc conseillé d'apprécier ce style de bd-docu mais le sujet demeure passionnant... Il démarre tranquillement avec les peintures préhistoriques avant de s'orienter peu à peu vers la gravité de Bure et de l'enfouissement des déchets nucléairesl. Là, nous retrouvons un Etienne Davodeau plus militant qui convie dans sa marche des esprits tout aussi militant tels qu'un expert anti-nucléaire ou un parisien militant qui a mené des protestations acharnés contre le traitement des déchets nucléaires à Bruge. Ce sont des récits passionnants menés par des gens engagés  qui soulève aussi toute l'absence de démocratie autour de cette question de l'énergie nucléaire et sa radioactivité qui risque d'entacher les générations futures. On notera aussi des interview plus singulières telles que l'intervention d'une sémiologue sur le symbolisme autour du discours du nucléaire avec  quelques clins d'œil bien appuyés sur des dessins-symboles tels que ceux qui différencient les toilettes filles/garçons. L'auteur part un peu loin sur une réflexion un peu méta autour du dessin et du symbole. C'est un peu hors-sol vu le sujet mais cela n'en demeure pas moins intéressant. 

Bien que le récit de voyage est souvent focalisé sur un moment présent, on devine qu'à travers ces interviews , Etienne Davodeau fait résonner l'ombre d'un futur un peu inquiétant. Comme il le souligne lui-même en début de volume, ce livre est une invitation à un "voyage dans l'espace et le temps". Face à cette menace d'enfouissement des déchets nucléaires, l'auteur nous invite tout simplement à aller arpenter cette nature, à aller fouler le pied de ce sol sur lequel nous vivons  , à aller ce rendre au pied de ce bois dans lequel nous vivons. Un cri d'alarme mêlé à l'amour de la ballade. 

En bref

Pour son dernier livre, Etienne Davodeau combine avec efficacité la bd documentaire avec le rapport intime et charnel du récit de voyage à travers une longue randonnée riches en rencontres. Malgré quelques temps un peu hors-sol, l'auteur délivre une nouvelle fois un album des plus passionnants.

8
Positif

Le principe d'une randonnée symbolique et existentielle qui fait écho au passé et au futur à travers deux héritages légués par le sapiens

Le dessin de Davodeau qui capte à merveille l'instant présent du voyage avec des croquis dynamiques , le tout agrémenté d'interviews passionnantes

Negatif

Quelques interviews qui semblent un peu hors-sujet et ont du mal à se fondre dans cette randonnée

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