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Critique de Bitter Root #3

par Ben-Wawe le dim. 20 févr. 2022 Staff

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Afrofuturisme social et politique puissant mais récit maladroit pour le sursaut de la famille Sangerye avant une pause voulue par les auteurs

La série Bitter Root nous propose une plongée dans un autre monde, une autre Histoire. Celle du premier quart du XXe siècle, où le lecteur suit les troubles et épreuves de la famille Sangerye.
Tous les membres de ce véritable clan au sein de la communauté afro-américaine protègent le monde depuis des générations, en secret. Ils affrontent des Jinoos, humains changés en monstres terribles et violents, via l'intolérance et la haine qui les consument.
Une telle lutte a provoqué bien des blessures, des pertes et des drames. Les Sangerye ont été divisés sur la manière de combattre : certains pensent qu'ils peuvent purifier les Jinoos, alors que d'autres considèrent qu'il faut uniquement les anéantir.
Cependant, les Sangerye ont également découvert les Inzondos, d'autres humains transformés en monstres différents, via le chagrin et le trauma provoqués par les Jinoos.

Les Sangerye ont dû combattre la divinité maléfique Adro, aidés finalement par le Dr Walter Sylvester, vieil ennemi de la famille rendu fou par la mort de sa famille lors du massacre de Tulsa, en 1921. Le Dr Sylvester a voulu expier ses péchés, en poussant Adro dans les limbes du Royaume de Barzakh, littéralement le purgatoire.
Le Dr Sylvester y retrouve Charles Sangerye, perdu ici depuis l'Eté Rouge de 1919. Sa sœur Nora et son fils Cullen partageaient son exil, mais sont retournés sur Terre en le laissant derrière. L'arrivée du Dr Sylvester pourrait néanmoins tout changer.

C'est sur ce résume intense que débute ce troisième tome de Bitter Root, puissante série et véritable éclaireuse dans l'afrofuturisme au XXIe siècle. Ce mouvement de science-fiction est en pleine expansion, après avoir été mis de côté voire oublié pendant des décennies, et il est autant agréable que grisant de découvrir tout ceci.
Les auteurs de Bitter Root font cependant de cet album le dernier avant une pause. Ils l'annoncent : la série va revenir, mais pas tout de suite.
La charge est donc lourde pour ces quelques épisodes, afin de continuer cette puissante saga sur des personnages attachants, avec un décorum de science-fiction touchant autant le steampunk que la magie. Mais, surtout, un fond social et politique intense, et troublant.

Hélas, ce troisième tome de Bitter Root ne convainc pas autant qu'il le devrait.

Oh, l'ensemble se lit agréablement, et bien des éléments sont positifs.
Les auteurs font avancer et évoluer leurs personnages. Belinda, dite Blink, doit accepter le retour inattendu de sa mère, Nora. Elle doit surtout prendre de nouvelles responsabilités dans cette famille fracturée. Berg, ce géant si lettré et intelligent, est un Inzondo depuis le drame de ses parents, mais ne veut pas s'y perdre. Ford, jusque-là ultra-violent envers les Jinoos, tente de s'améliorer. Alors que Cullen doit vivre avec sa « trahison », et les attentes de son père. Même Ma Etta, matriarche des Sangerye, décide de changer les règles, alors que son dernier fils Enoch continue ses recherches interdites.
Le contexte politique reste très fort, et pertinent. Les Jinoos représente la violence, la haine, le racisme total, notamment en Amérique. Cela fonctionne hélas d'autant plus dans le contexte de la Renaissance de Harlem, avec l'intégration des drames de 1919 et 1921. La gestion difficile des Inzondos est plutôt pertinente, aussi, et l'ensemble garde un souffle, une puissance sociale qui marquent, longtemps après la lecture.

Les annexes du tome comprennent également les « Amères Vérités », témoignages d'intellectuels afro-américains qui évoquent les bases, les fondamentaux de Bitter Root. Cela permet de remettre en perspective l'oeuvre, mais aussi de mieux comprendre, connaître, appréhender l'ensemble.
Ces éléments sont extrêmement intéressants, et troublent le lecteur qui découvre ainsi « la réalité » du massacre de Tulsa en 1921 (resté « volontairement » oublié pendant quasiment un siècle) et de l'Eté Rouge de 1919. Puissant et marquant.

Malheureusement, si le fond du récit est fort et très bon, la forme prise est moins bonne.
En effet, les auteurs de Bitter Root se perdent dans une narration sur plusieurs époques, ce qui est toujours grisant mais ici tombe souvent à plat. Les apports sur les Jinoos et Inzondos sont aussi bons, mais trop souvent survolés par un récit qui semble avoir « trop » à raconter pour les pages à disposition.
Un sentiment qui se renforce au final, autant pour le contenu de ce dernier que pour l'attente jusque-là.

En effet, Bitter Root n'a pas de « fin » en soi. Les dernières pages sont particulièrement réussies pour le symbolisme, avec cette percée dans un futur proche pour voir que les Sangerye osent combattre les Jinoos, même dans la pire période du XXe siècle. Cependant, si l'image est belle, elle ne s'accompagne d'aucun contenu « suffisant ».
Ce troisième tome montre en effet plusieurs personnages menant des recherches pour comprendre les dessous des Jinoos, des Inzondos et même de Barzakh. Le Dr Sylvester et Enoch, chacun dans son coin, disent même avoir « compris », et veulent ou vont prévenir leurs proches.
Hélas, le lecteur n'en saura rien. Bitter Root refuse encore de révéler ces étranges vérités. Les auteurs multiplient les pistes, les idées, les semi-révélations... et rien ! Rien ne vient à la fin, alors même qu'une « bataille finale » se révèle elle-même particulièrement décevante par son ampleur et sa chute.

Certes, les dessins dynamiques et nerveux de Sanford Greene sont bons et beaux, avec des ambiances étranges et envoûtantes. Le graphisme est réussi, bien que potentiellement clivant.
Malheureusement, les scénaristes David F. Walker et Chuck Brown tapent malheureusement à côté dans leur façon d'écrire une histoire formidable, prenante, troublante, brillante... mais qui oublie, sur sa fin, de donner au lecteur le minimum nécessaire pour accepter cette pause qu'ils imposent !

En bref

Le troisième tome de Bitter Root est bon et intense. La lecture est prenante, notamment du fait d'un fond social et politique particulièrement léché et fort. Le graphisme est entraînant, alors que les annexes sont enrichissantes. Hélas, des maladresses de narration et surtout un manque criant de révélations à la fin font de ce dernier tome avant une pause une petite déception.

6
Positif

Des thèmes sociaux et politiques forts.

Un graphisme troublant et réussi.

Des annexes enrichissantes et prenantes.

Negatif

Une narration maladroite.

Un refus des révélations pourtant annoncées.

Des personnages et concepts prenants, mais finalement survolés.

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