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Critique de Not All Robots

par Ben-Wawe le jeu. 2 févr. 2023 Staff

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Un récit puissant qui interroge le lecteur via une dystopie fine et trouble, entre dénonciation du masculinisme toxique et intenses interrogations sur la famille et l’Humanité

Les Editions Delcourt proposent dans un beau tome unique le récit Not All Robots, mini-série de cinq épisodes publiée initialement en 2021 par l’éditeur AWA Studios.
Ce dernier, lancé en 2018, bénéficie de l’expérience et du carnet d’adresse de son patron créatif, Axel Alonso, qui a longtemps présidé aux créations de Marvel Comics. L’on y retrouve ainsi de grands noms, notamment J. Michael Straczynski, Reginald Hudlin, Garth Ennis ou encore Frank Cho. Les publications sont diversifiées et autonomes.

Not All Robots est ainsi l’œuvre de Mark Russell (Fantastic Four : L’Histoire d’une vie, Prez, Le Retour du messie…) et de Mike Deodato Jr (Dark Avengers, Original Sin…).
Un scénariste qui monte, un dessinateur bien installé dans le milieu : une équipe intrigante pour allécher le lecteur, afin de donner envie de se plonger dans un récit bien surprenant et troublant.

Mais de quoi parle Not All Robots ?
Nous sommes en 2056. Le monde a été ravagé par les abus écologiques de l’Humanité, qui a décidé dix ans plus tôt de confier les clés de son destin aux robots. L’essentiel des humains survivants vivent dans villes-bulles, organisées et administrées par les robots.
Chaque foyer dispose d’un robot domestique (dombot), qui généralement est la seule source de revenus car les robots se sont révélés plus efficaces dans l’essentiel des emplois (hormis la coiffure). Des tensions existent cependant entre des robots dont l’intelligence artificielle se lasse souvent des défauts humains, et ces humains qui se sentent infantilisés et spoliés.
En plus d’extraits d’une émission de débat entre une femme et un robot, le récit suit la famille Walters : un père (Donny) loyal aux robots car habitué à servir la hiérarchie sociale et professionnelle, une mère (Cheryl) qui critique l’influence robotique, et des enfants (Sven et Cora) au fond terrifiés par les événements. Et leur dombot Razorball, en pleine dépression car il ne supporte ni son travail (où il va être remplacé par les Mandroïdes, des robots à apparence humaine), ni sa vie de famille.
Un drame dans la ville-bulle d’Orlando, provoquée par une apparente erreur robotique va mettre le feu aux poudres, et déclencher des débats, révoltes et changements intenses dans la société… et la famille Walters.

La lecture de Not All Robots ne laisse pas indemne, et provoque énormément plusieurs réactions chez le lecteur. Elles sont positives, car c’est une bonne bande-dessinée, malgré quelques défauts ; mais cela remue, essentiellement.
Cette bande-dessinée n’est absolument pas un tome anonyme, d’aventure ou de science-fiction.

Déjà, évoquons l’évidence : oui, autant le récit que le titre, vise à évoquer la « réaction » sur Internet de quelques hommes au mouvement #MeToo, lancé en 2017 pour dénoncer les abus misogynes.
Oui, le nom Not All Robots vise à singer le #NotAllMen lancé pour riposter au #MeToo par des exemples d’hommes qui ne seraient pas « tous » mauvais.
Oui, aussi, les robots tels que présentés ici, qui passent leur temps à travailler et à râler que leur famille ne les comprend pas et ne les aime pas assez, au point de devenir violents et de minimiser leurs abus, sont une parabole du masculinisme toxique.
Oui, les humains servent à évoquer les femmes en général, et comment elles peuvent vivre dans la peur et la soumission, mais aussi comment elles peuvent tenter d’en sortir malgré la violence du statu-quo favorisé par la société.
Mark Russell utilise ainsi cette bande-dessinée pour exprimer ses peurs, doutes et opinions sur la situation, comme il le précise dans une postface traduite et bienvenue. Celle de Mike Deodato Jr est sympathique, mais apporte moins à l’ensemble.

Not All Robots est ainsi un récit politique et social, une bande-dessinée de son temps, qui utilise les robots et la dystopie pour parler de notre présent. Cela se comprend au fil des pages d’un ensemble qui happe, qui intrigue, qui concerne pleinement.

La lecture se fait complètement intense, prenante, avec des rebondissements bien organisés et des personnages qui ne sont jamais pleinement bons ou mauvais.
La famille Walters n’est composée que de membres imparfaits, sans complètement briller ou fauter. Même le père, au final, est touchant dans ses réactions pathétiques, et son final augure d’une infinie solitude (qu’il a cependant « bien cherchée »). Le fait que la mère et les enfants finissent ensemble ne fait d’ailleurs que confirmer le lien entre ces humains et la situation des femmes face à la situation.

La description du monde, surtout, est très fine, avec une approche assez générale du fonctionnement mais quelques détails pertinents mais terrifiants. La mainmise de l’intelligence artificielle sur tous les aspects du quotidien et le « grand remplacement » de l’humain par les robots crispe, notamment en plein boum de ChatGPT (lien).
La justice est ainsi entièrement automatisée, basée sur des algorithmes avec l’obligation de « coder » sa ligne de défense, plutôt que de s’exprimer par la voix. A l’heure des premières recherches et applications de la justice algorithmique en France (lien), cela interroge.

Mark Russell gère très bien son récit et son rythme, avec une approche dynamique des événements malgré des épisodes très denses, très riches.
Surtout, s’il dresse un bilan particulièrement dur, violent et oppressant de la situation, de la façon d’être et de vivre, il offre une conclusion qui surprend mais soulage. Bien évidemment sans spoiler, la famille Walters passe par des moments terribles et monstrueux, en parallèle de leur monde ; mais leur final n’est pas aussi désespéré que l’on pouvait le craindre.
L’on peut même y lire une note d’intention, un moment d’espoir formulé par un auteur qui, jusque-là, s’est acharné à montrer le déterminisme violent et brutal de la situation. Belle pensée.

Dommage, cependant, que le graphisme ne soit pas aussi brillant. Le style de Mike Deodato Jr est connu, et peut troubler ou interroger ; mais le rendu, ici, est loin de ses grandes réussites.
La lecture se révèle en effet souvent difficile, car le dessin est trop dense mais le rendu aussi trop uniforme. Il est régulièrement compliqué de « voir » les formes des robots, qui ne sortent pas assez de décors très chargés. Encore plus pour les visages des robots, que l’on voit à peine sur certaines planches.
Même les humains sont régulièrement dessinés sans grande réussite, avec bien trop d’ombres et des traits à peine esquissés. L’ensemble fonctionne, malgré parfois trop d’aspects figés, mais le rendu est en-deçà des habitudes de Deodato et, surtout, gêne la lecture. Quel dommage.

En bref

Not All Robots est une bande-dessinée avec un fort message politique et social, qui utilise la dystopie et les robots pour parler de notre époque et ses changements. Le parallèle avec le masculinisme toxique est évident et bien mené, avec un ensemble puissant mais aussi de bons rebondissements. Dommage que le graphisme soit confus au point de gêner la lecture d’un récit réellement brillant.

7
Positif

Un récit politique et social puissant.

Une bonne gestion des rebondissements et d’une dystopie qui interroge.

Un ensemble prenant, qui laisse bien des questions sur soi et le monde.

Negatif

Un graphisme trop confus, qui devient désagréable et gêne la lecture.

Un petit manque de détails sur le fonctionnement de ce monde.

Un final un peu rapide, malgré la belle note d’intention finale.

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