Je n'avais jamais aimé personne comme j'ai aimé Yolanda...

Dès les premières pages, la lumière éclatante d'un de ces jours d'été finissant où tout semble possible et le ton sombre et prophétique de la voix-off créent un décalage qui établit d'emblée le ton d'un récit parlant de la fin d'un monde. Le monde de Honeysuckle Speck, une jeune femme déterminée qui s'apprête à emménager avec son grand amour Yolanda. Les pensées d'Honeysuckle, le langage corporel des amoureuses...il n'en faut pas plus pour décrire en quelques planches la beauté de cette relation, ce qui rend encore plus déchirant la... ou plutôt les pertes qui vont suivre, causées par la pluie apocalyptique qui donne son titre à la mini-série...

Avec Rain, le scénariste David M. Booher (Canto) et la dessinatrice Zoe Thorogood (Dans les yeux de Billie Scott) adaptent une novella de Joe Hill, l'auteur de Locke & Key et de Nosfera2, publiée à l'origine dans le recueil Drôle de temps (Strange Weather en V.O.). Joe Hill déroule l'action de Pluie à l'époque contemporaine de son écriture, l'Amérique de Donald Trump. Si on voit bien que l'écrivain ne porte pas l'agent orange dans son coeur (détestation qu'il partage avec son illustre père Stephen King), cet aspect n'est pas au coeur du drame vécu par l'héroïne, même si ce contexte n'est bien évidemment pas écarté par la présence de petites piques bien senties et savoureuses contre l'ancien président obsédé de twitter et les climatosceptiques.

Rain parle avant tout de mort, de chagrin (intense et poignant), de reconstruction dans une société qui perd ses repères suite à un événement étrange et traumatique. Les rebondissements passent par certains passages obligés racontés avec une redoutable efficacité car le suspense est soigné et la violence percutante et sanglante. Le style de Zoe Thorogood n'épargne aucun détail gore, succédant à la délicatesse du début. Ses silhouettes sont parfois un peu raides et les cases ne sont pas toujours riches en décors mais j'ai aimé les traits distinctifs qu'elle donne à chacun des protagonistes et les ambiances travaillées, dans le drame comme dans l'horreur. L'un des plus beaux exemples est cette page composée de deux grandes cases verticales où l'alliance des mots et des deux personnages en ombres chinoises procure un résultat d'une grande portée émotionnelle. 

Je pense par contre qu'il n'était peut-être pas utile de donner une explication rationnelle à cette pluie de cristaux...il y a des moments où j'apprécie quand ce genre d'histoire garde une part de mystère...mais cela n'a pas diminué le plaisir de cette lecture forte, menée par une héroïne attachante, superbement caractérisée et qui, malgré tout ce qui s'est passé, essaye de ne pas se laisser abattre pour véhiculer une note d'espoir dans un monde qui n'en a plus beaucoup.