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Critique de Immortal Sergeant

par Ben-Wawe le mer. 15 nov. 2023 Staff

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Un puissant récit père-fils, dans un road-trip intense rempli d’émotions et de personnages prenants

L’éditeur HiComics propose en un seul et beau volume, avec beaucoup de bonus très intéressants et de belles postfaces, la totalité d’Immortal Sergeant.
Neuf chapitres composent cette maxi-série publiée entre janvier et septembre 2023 par Image Comics en VO. La version française arrive ainsi très rapidement après l’originale, ce qui est fort agréable mais surtout bienvenu pour une œuvre prenante, marquante et particulièrement bluffante.
Celle-ci est réalisée par Joe Kelly (scénariste précédemment de Deadpool ou Savage Spider-Man) et Ken Niimura (créateur d’Umami), tous deux déjà liés autour du formidable I Kill Giants. Ici, le formidable duo d’auteurs replonge dans un récit intimiste, familial et intense, qui est plus franchement autobiographique que les précédents, au vu des postfaces très justes et touchantes.
L’émotion est totale au fil de ces pages, qui ne laissent pas le lecteur insensible… alors même que le pitch ne semblait pas pouvoir l’amener aussi loin.

Mais de quoi parle Immortal Sergeant, finalement ?
Le sergent inspecteur James P. Sargent est un officier de police dans la banlieue de New York. Il a été marié, mais son épouse Rhoda a divorcé pour vivre son homosexualité – même si elle continue de prendre soin de lui à distance. Son fils Michael vit à plusieurs heures de route, où il essaye de finir et vendre ses jeux-vidéos, tout en avançant dans la vie avec sa femme, l’avocate Val qui assure le quotidien, et leurs trois enfants.
Jim Sargent est bientôt à la retraite… et il ne le supporte pas. Comme il ne supporte pas grand-chose en vieillissant, avec ses remarques misogynes, homophobes, racistes et méchantes sur tout ce qui passe. Un pot de départ est cependant prévu, et Michael arrive avec sa famille en son honneur. Mais aussi pour fêter ses 35 ans, même s’il n’a jamais eu de bon souvenir d’anniversaire avec son père.
Jim Sargent va cependant emmener ce fils qu’il semble haïr en voyage, dans une quête intense et brutale pour… élucider un meurtre, vieux de 35 ans et qui l’a marqué à jamais. Un road-trip terrible, qui va les changer à jamais.

On le comprend, Immortal Sergeant est un récit intimiste, qui prend aux tripes.
Tout un chacun dispose d’une relation particulière à ses parents, notamment son père, mais rares sont ceux qui bénéficient d’un lien parfaitement équilibré. La lecture peut ainsi rappeler les failles, les erreurs, les maladresses, les douleurs nées du rapport père-enfant, et notamment père-fils ; plein de non-dits, d’attentes et d’espoirs déçus.
Joe Kelly se livre pleinement dans cette histoire, particulièrement personnelle au vu de la postface, et cela se sent. Michael Sargent est représentatif d’un certain nombre d’enfants d’un père fort, « de la vieille école », avec un charisme réel mais oppressant, et souvent en faisant des dégâts. Michael est ainsi créateur de jeux-vidéos en apparence « neuneus », dont Jim se moque, mais qu’il a créés pour se construire, se reconstruire après une enfance réellement difficile.

Il peut être surprenant de voir si souvent Michael défendre son père, mais autant le personnage que le scénariste le disent : même méchant, même brutal, même agressif, Jim Sargent reste humain… et un humain marqué, troublé, brisé par une carrière de policier difficile, pleine d’échecs douloureux et de drames sur lesquels on ne communique pas.
Cela n’excuse rien, mais cela peut expliquer et pousser aussi l’enfant à vouloir autant se rapprocher que soigner le parent blessé.

Immortal Sergeant est ainsi un récit multiple, autant sur le rapport père-fils, que sur la reconstruction du fils marqué par un père étouffant. Mais aussi sur l’évolution réelle d’un homme qui accepte ses failles et torts, quand il les voit chez un autre (formidable passage où Jim voit un « autre lui-même » chez un policier d’un autre Etat, autant raciste et suffisant que lui ; et ça le dégoûte). Et, enfin, c’est également un vrai polar, avec l’enquête réelle sur le meurtre de la petite Lateisha, qui remue le lecteur, au point de vraiment vouloir en savoir plus… voire à justifier les envies extrêmes de Jim.
L’ensemble est un coup au ventre du lecteur, une histoire particulièrement fine et intelligente, qui n’oublie jamais ses personnages, même secondaires.

Jim n’est pas quelqu’un de bien, mais il reste un policier acharné à retrouver un meurtrier 35 ans après ; d’une petite fille afro-américaine, alors qu’il est raciste. Michael est une victime, mais qui fuit aussi ses responsabilités de père, et cause du tort aux siens. Val n’est pas pleinement blanche non plus, et Joe Kelly orchestre une formidable discussion avec sa belle-mère, particulièrement marquante et émouvante.

Immortal Sergeant maintient une émotion totale durant toute la lecture, avec notamment un final qui laisse exsangue. Le rapprochement Jim/Michael touche, mais aboutit à l’avant-dernier chapitre à un moment terrible, intensifié par la décision de Jim sur la poursuite de sa quête. Celle-ci mène à un échange marquant avec le responsable, et… à une décision qui changera la vie de tous, ensuite.

Joe Kelly réussit ainsi l’exploit d’offrir une fin formidable à un récit qui l’est tout autant.
Bon du début à la fin, sans fausse note, Immortal Sergeant est un trésor d’émotions, particulièrement adapté à son époque. La postface évoque aussi les hésitations des auteurs sur une telle œuvre, préparée dès 2017 et alors que le mouvement Black Lives Matter se lançait.
Un long cheminement, une grande préparation qui permettent à l’ensemble de fonctionner pleinement car tout a été affiné avec temps et talent.

Cela concerne aussi le graphisme : Ken Niimura participe pleinement à la réussite avec son style si particulier. Très asiatique dans le trait, mais avec des tics de narration très inspirés par les comics, ledit graphisme fonctionne parfaitement bien. Les personnages sont aisément reconnaissables, les planches sont fluides et le tout créé un dynamisme particulièrement adapté à la structure du récit.
Certes, le graphisme ne paraît pas beau au premier visuel, mais la lecture confirme qu’il n’aurait pas fallu autre chose pour une telle histoire.

En bref

Immortal Sergeant est un récit intimiste de relation père-fils, qui s’occupe autant de ce lien, que du père, du fils et de ceux qui gravitent autour. Une histoire extrêmement complète, très fine, très intense et prenante, qui touche au cœur. Un véritable petit chef d’œuvre, qui laisse songeur longtemps après la lecture. Un coup au cœur, un coup de cœur.

8
Positif

Un récit intense, prenant, extrêmement dynamique et marquant.

Des personnages parfaitement compris, écrits et animés.

Des sommets d’émotion qui touchent juste.

Negatif

Un graphisme qu’il faut accepter au début.

Un début peut-être un peu lent, mais qui vise à bien cadrer le haïssable Jim Sargent.

Un micro-manque de clarté à la fin du chapitre 8, vite compensé par l’ultime chapitre 9.

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