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Critique de Confidences d’une prostituée

par Tampopo24 le mar. 12 déc. 2023 Staff

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Les coulisses du plus vieux métier du monde

Dans sa collection « Héritages », je n’avais lu pour le moment que les titres des autrices cultes qu’Akata avait eu la riche de nous rendre accessible. Avec Confidences d’une prostituée, c’est un auteur culte, celui de Golgo 13 que je rencontre avec un scénario plus proche de mes sensibilités que ses autres oeuvres portées jusqu’à nous. Témoignages de la rude vie de ces femmes trop souvent laissées dans l’ombre, il nous livre des moments intenses et riches en émotion.

Takao Saitô, que je rencontre ici, est effectivement l‘auteur du cultissime Golgo 13, manga le plus long jamais parus au Japon, avec ses 209 tomes toujours en cours depuis 1968, même si l’auteur, lui, nous a quitté en 2021 à l’âge de 84 ans. Mangaka qui compte au Japon, il fut d’abord l’un des chantres du Gekiga et l’un des premiers à mettre en place une division du travail avec la formation d’un de ces fameux studios qu’on connaît si bien désormais, ce qui permet à son titre Golgo de continuer à être publié.  Il voulait faire du divertissement, il en a fait, mais il a aussi su proposer autre chose. Et, Confidences d’une prostituée dont nous allons parler aujourd’hui, est un de ces autres chose. Titre travaillé dans les années 70, il met en lumière les préoccupations plus sociétales d’un auteur parfaitement rôdé désormais en tant qu’artiste.

Ce genre de récits âpres sur la vie de femme un peu marginales, j’ai déjà connu avec Kazuo Kamimura, mais là où ce dernier est dans un registre très mélodramatique, Saitô, lui, fait le choix d’être plus formel, plus réaliste. Le premier est un artiste qui charme aussi par ses portraits de femmes splendides, parfaits pour faire verser une petite larme sur elles. Le second apporte un vernis plus âpre, plus rude, car il résonne avec ce qu’on peut côtoyer. Cela n’a pas la même texture, pas la même intention, pas la même intensité. J’aime les deux et je les trouve assez complémentaires.

Dans le volume ici présent, sous couvert de 10 histoires différentes, il nous relate le quotidien assez cru de ces lieux qu’étaient les maisons closes japonaises et ce qu’ont vécu leurs occupantes. Ce n’est pas un récit joyeux mais pas non plus misérabiliste. C’est un récit juste. Conté par une ancienne prostituée qui livre ainsi ses souvenirs, cela leur donne un certain cachet. Avec une mélancolie juste, elle retrace ainsi des parcours de vie bien différents, confrontant le lecteur au quotidien de ses femmes et de leurs clients mais aussi de ceux qui gravitent autour. C’est très enrichissant. J’ai aimé découvrir ces différents portraits. J’ai aimé cette plongée, tout sauf voyeuriste, dans ce que les uns et autres avaient vécu, à travers des scènes souvent poignantes de cette intimité mal connue.

Les sentiments sont le coeur de l’histoire. L’auteur ne nous berce pas d’illusions. Il n’y a pas de belles histoires, juste des parcours de vie achoppés. Il nous montre ce quotidien dans toute sa rudesse : des femmes désespérées, des femmes qui ont abandonné, des femmes qui s’y sont habituées… mais aussi des hommes pathétiques, d’autres violents, certains juste paumés. Il n’y a pas d’antagonistes juste des personnes portées par leurs temps, par leurs habitudes et certitudes d’alors, et enfermés dans un schéma qui les coupe du moindre espoir. C’est assez triste. Mais c’est justement ce qui rend cette lecture poignante, ce qui la rend viscérale.

Les portraits sont cependant inégaux et tous les chapitres ne se valent pas, même s’ils sont regroupés ici sous le couvert du récit des souvenirs de cette ancienne prostituée. Cependant certains touchent plus que d’autres à l’image de cet amour impossible avec un troufion dans le deuxième chapitre ou cet amour terriblement patient, peut-être trop d’ailleurs, dans le troisième. Le dessin, lui, est égal par contre. On est en plein dans l’esthétique Gekiga avec ce trait semi-réaliste porté par un ton dramatique, dans une profusion de cases richement rythmée mais très sombres et remplies de traits pour apporter ombres et textures. Actuellement, cela a vieilli et même si cela a inspiré nombre d’auteurs depuis, ce n’est plus vraiment au goût du jour, la narration est plus pesante, parfois moins fluide. Mais pour qui aime, les ambiances old school, on est en plein dedans et cela a un charme certain pour plonger dans cette époque révolue dans un ambiance de témoignage un peu journalistique, très cinématographique et classique, avec de très belles scènes intimes émouvantes dans leur malheur.

En bref

Après Autant en emporte la brume qui était un texte fort intéressant pour l’histoire du manga et du shojo manga mais qui souffrait d’une histoire trop mélodramatique et remplie de maladresses narratives, Confidences d’une prostituée contre qui j’avais plus de préjugés m’a plus plu scénaristiquement. J’en ai aimé la justesse, la rudesse, la mélancolie et le réalisme. C’est un portrait au plus près de ce que vivaient ces femmes, dans toutes sa complexités et sans voyeurisme. On n’évite pas quelques clichés mais la variété des portraits offre des situations pleines de leçons à tirer sur ces travailleuses du sexe, métier le plus vieux du monde encore en activité sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Je regrette juste un gros manque de contextualisation à part la brève page d’introduction de l’auteur, surtout vu la carrière de celui-ci.

8
Positif

Le chef d'oeuvre méconnu d'un auteur culte

Un portrait juste et sensible d'un métier souvent décrié

Un drame bien dosé pour ne pas en faire trop

Le charme du gekiga sur un sujet de société toujours actuel

Des scènes capturées parfois de manière poignante

Negatif

Un look old school qui ne plaira pas à tout le monde

Des histoires inégales

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