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Critique de Night Eaters #1

par Ben-Wawe le lun. 9 sept. 2024 Staff

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Un récit intense et prenant, mêlant horreur, passage à l'âge adulte, lien fraternel et surnaturel ; une pépite !

Delcourt propose en septembre 2024 le premier tome de la trilogie Night Eaters, série de romans graphiques publiés en version originale par l'éditeur indépendant Abrams Comicarts. Ceux-ci livrent un écrin formidable à la dernière réalisation des autrices de la série Monstress, diffusée chez Image Comics puis également chez Delcourt, à savoir Marjorie Liu et Sana Takeda.
Cependant, les deux créatrices, très proches, sont ici loin du récit de high fantasy qui bénéficie d'un grand succès d'estime et critique. En effet, Night Eaters est un récit plus court, plus ramassé, mais surtout plus horrifique et brutal, en bénéficiant de plusieurs influences. L'éditeur évoque Monsters de Barry Windsor-Smith ainsi que les films Crazy Rich Asians et Sorry to Bother You, mais l'on peut aussi adjoindre l'oeuvre de H.P. Lovecraft... rien que ça, oui !

Mais de quoi parle Night Eaters Tome 1 : Elle dévore la nuit ?
Le récit se déroule à notre époque, mais durant la période du COVID-21, lorsque la population portait des masques et les restaurants ouvraient entre deux confinements. L'action se passe à New York, où les jumeaux sino-américains Milly et Billy, dans la vingtaine, gèrent leur restaurant asiatique au gré de leurs problèmes personnels (elle maîtresse de son ex qui poursuit les études de médecine qu'elle a abandonnées, lui geek accro aux jeux en ligne).
Surtout, ils doivent subir la présence de leurs parents, Ipo et Keon, qui reviennent une fois par an dans la maison familiale qu'ils leur ont laissée. Ceux-ci, émigrés de Hong Kong avant la naissance des jumeaux, sont extrêmement différents : Keon est doux, gentil, très calme et flegmatique ; Ipo est froide, brute, sèche, quasi mutique, extrêmement exigeante et avare en attentions. Il compense au quotidien, mais Ipo a souvent le dernier mot – notamment quand elle impose aux jumeaux de nettoyer avec elle l'étrange maison voisine.
La demeure, réputée invendable, est rongée par les végétations, et fait fuir tous ceux qui approchent. L'on y trouve des poupées abandonnées sur un canapé, des trous mystérieux dans le sol, un sol impossible à creuser. Et l'on dit que l'abandon vient d'un drame, un meurtre abominable avec de sombres rumeurs... mais toujours moins sombres que les secrets et projets d'Ipo !

On le comprend, ce premier tome de Night Eaters va réserver bien des surprises et des frissons à un lecteur qui, certainement, aura du mal à lâcher ce beau volume, toujours bien édité par Delcourt, avant d'en avoir terminé avec cette œuvre intense et prenante. Les autrices livrent en effet un récit plein de dynamisme, puissant grâce à plusieurs influences bien digérées.
Oui, les œuvres évoquées par Delcourt sont justes, avec notamment le film Crazy Rich Asians pour illustrer la dynamique interne d'une famille asiatique. Le début baigne dans cette ambiance trouble, où les héritiers tentent de gérer leur quotidien avec l'influence maternelle, et les difficultés de communication que cela entraîne.
Cependant, très vite, l'intrigue prend une autre tournure – et verse très intelligemment dans plusieurs domaines, avec plusieurs rebondissements surprenants mais très justes et réussis. C'est bien cette multiplication des influences, véritables soutiens plutôt que piliers trop gênants de l'histoire, qui permet de plonger pleinement dans ce monde de plus en plus étrange, de plus en plus oppressant, de plus en plus passionnant.

Marjorie Liu rédige en effet un scénario qui accroche, avec ce début pertinent pour cadrer une jeunesse en conflit « classique » avec ses parents, notamment dans cette période difficile du COVID-21. Quoi que l'on pense de celle-ci, et des obligations de port de masque, nous avons tous eu des proches qui refusaient de mettre une telle protection, et les interactions avec Ipo sont un rappel difficile mais réel de cette époque.
Cette accroche embraye néanmoins sur le mystère de la maison, une approche horrifique qui rappelle en effet l'oeuvre de H.P. Lovecraft. On le ressent notamment dans la gestion de la terreur, de l'horreur indicible, indescriptible ou plutôt incompréhensible, car la bande-dessinée permet de montrer ce que l'écrivain décrivait au moyen des émotions de ses personnages.
Ici, tant Milly que Billy sont happés, pris dans une tourmente terrible, parfaitement surnaturelle, et ils y sont autant perdus que le lecteur. Cela permet de s'impliquer totalement dans le récit, jusqu'à un dernier segment particulièrement marquant – parce que les autrices retournent entièrement l'ensemble !

La révélation se fait légitime et fluide en se rappelant du cœur du récit, mais le choc est réel, la rythmique puissante, et les autrices n'abandonnent pas le lecteur ici. Ladite révélation est accompagnée, expliquée, précisée, et cela permet un final très réussi, inspirant et haletant.
Une merveille de gestion scénaristique, avec en outre plusieurs émotions brutes qui s'abattent sur les personnages et ceux qui les suivent. L'ultime réussite d'un scénario malin, fluide et très carré, qui couvre tous les aspects de l'histoire et croque des personnages touchants, qui évoluent en peu de temps pour grandir à tout âge, confirmant leur grande humanité... enfin, autant que possible.

En outre, le dessin correspond complètement au projet du scénario, et à l'ambiance voulue par celui-ci. Sana Takeda est en effet une dessinatrice dont le trait n'est pas « beau », mais qui fonctionne extrêmement bien dans certains contextes, grâce aux ambiances léchées et intenses qu'elle réalise.
Il y a du Ben Templesmith dans ses planches, avec des personnages là aussi très bien animés, très reconnaissables. La narration est fluide, la dessinatrice sait raconter une histoire en bande-dessinée, et le lien fort avec la scénariste se ressent.
Surtout, Sana Takeda sait très bien forger ses atmosphères, avec une demeure d'abord intrigante puis terrifiante, plusieurs passages horrifiques qui fonctionnent sans trop en montrer, et des personnages qui changent et évoluent physiquement au gré des événements traumatisants. Une réussite graphique totale, car en adéquation parfaite avec un scénario idéal pour de telles planches.

En bref

Le premier tome de Night Eaters est une pépite. Il a profondément touché le présent lecteur, qui a été pleinement entraîné et passionné par ce récit de passage à l'adulte, de révélation familiale via un prisme horrifique parfaitement maîtrisé, via un graphisme formidable dans son atmosphère et son dynamisme. L'ensemble dispose de qualités réelles, avec des autrices à leur sommet... et c'est une pépite, oui ! A ne pas manquer !

10
Positif

Un scénario malin, cadré, cohérent, fluide, prenant et qui digère idéalement toutes ses influences.

Des personnages attachants, qu'on adore suivre et qui nous surprennent dans un final plein d'émotions.

Une ambiance graphique remarquable, parfaitement adaptée et inspirée.

Negatif

Très clairement, l'appréhension qu'une suite gâche ou minimise la puissance scénaristique et graphique de cet opus si réussi, et de ce final parfait.

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