Critique de Les Tortues Ninja - TMNT Reborn #4
par Ben-Wawe le sam. 22 mars 2025 Staff
Une plongée passionnante dans le quotidien intense, politique et adulte du nouveau monde des Tortues, entre prises de responsabilités et épreuves intimes
HiComics propose dans un fort beau volume, bien édité et agrémenté de jolis bonus le quatrième tome de TMNT – Les Tortues Ninja : Renaissance. Il s'agit de la suite de la surprenante et très réussie proposition de la scénariste Sophie Campbell, dans une veine politique, émotionnelle et intime après le long passage de Tom Waltz sur ce volume de l'éditeur américain IDW.
L'approche peut surprendre voire même gêner les fans de la version historique des Tortues Ninjas, car l'ensemble est moins orienté vers l'action régulière, la confrontation constante avec le Clan Foot, Shredder et d'autres. Bien que cette voie ait son lot de bagarres et d'affrontements, ceux-ci sont moins sanglants, moins brutaux physiquement, avec beaucoup de passages parlés, de débats philosophiques, personnels et politiques.
La série se concentre en effet sur le devenir du quartier mutant, zone de New York mise en quarantaine après l'explosion du mutagène qui a fait muter quantité d'habitants. Les Mutanimaux ont pris le pouvoir sous la houlette d'Old Hob, allié passé des Tortues et notamment de Raphaël, qui l'a aidé à prendre le contrôle... mais le regrette désormais.
Le régime de Hob et de ses proches se révèle en effet violent et oppressant, ce qui fait naître une résistance qui monte. Le Clan Splinter est formé en hommage à leur père décédé par les quatre Tortues originales mais aussi Jennika, Humaine transformée en Torture et devenue leur sœur adoptive, et Alopex, une Mutée renarde arctique et compagne de Raphaël. Tous entraînent les habitants à l'auto-défense et accompagnent la contestation, en hésitant néanmoins sur leur degré d'intervention.
La situation est prête à exploser, alors... que se passe-t-il dans TMNT – Les Tortues Ninja : Renaissance Tome 5, Qui sème le vent... ?
Oroku Saki, qui fut Shredder et est désormais décédé mais qui erre dans le monde comme fantôme, décide de racheter ses fautes passées en aidant les Tortues par des coups de pouce discrets. On le voit ainsi les protéger à distance, tout en suivant aussi leurs proches. Lola Cruz apprend grâce à lui la tenue d'une manifestation contre Hob au quartier mutant, Jennika retrouve l'inspiration musicale, et April O'Neil est sauvée de hordes mutantes lâchées contre elle par le Maire Baxter Stockman après qu'elle ait découvert son trafic d'oeufs mutants. Il veille en secret, et il apprécie.
Sally Pride mène la manifestation et la révolte, avec les Tortues en agents de sécurité. Des Mutanimaux tentent de la tuer, ce qui provoque le chaos, une confrontation massive puis une attaque directe contre le quartier-général d'un Old Hob pas forcément informé de toutes les décisions de ses proches.
L'équilibre du quartier mutant change, les rebelles sont confrontés à des choix de gestion, de gouvernement, de philosophie du pouvoir... alors que les Tortues doivent décider de leur implication et de leur destin personnel. Raphaël et Leonardo, notamment, doivent soit accepter, soit trouver une voie intime, alors que leurs pulsions et passés les ont amené vers des postures qu'ils pensaient définitives... et Hob n'a en soi pas dit son dernier mot !
On le comprend, Sophie Campbell poursuit son interrogation de l'âme, des choix et des personnalités de ses personnages, en étendant pleinement son casting. Elle ne se concentre pas uniquement sur les Tortues et leurs proches directs, elle intègre quantité d'autres héros et vilains, des anonymes du quartier mutant qui vont et viennent, en participant à leur échelle et plus ou moins directement à un grand plan global.
Cela s'avère passionnant, notamment dans le sous-texte clair de son propos, de sa démarche. L'autrice s'acharne ainsi à montrer comment des initiatives positives, des rébellions légitimes peuvent aboutir à de nouveaux régimes autoritaires – par manque de transparence, de bienveillance, mais surtout de communication. Une réflexion sur le pouvoir, le contrôle et le devenir des révolutionnaires quand ils deviennent les décideurs.
En l'état, le pouvoir exercé par Old Hob et les siens ne se veut pas mauvais par nature, mais il a conduit à des abus et même à des décisions extrêmes car les concernés ont trop rapidement pensé être les seuls à avoir raison, en se sentant menacés par ceux qu'ils voulaient protéger de force. L'échange entre Sally et Ray est ainsi terrible, en prouvant que les bien intentionnés peuvent se retourner les uns contre les autres en s'aveuglant, et en oubliant de communiquer. Ce que Hob confirme encore dans le final, plein de secrets, de manipulations et de mensonges « pour la bonne cause ».
La gestion des caractères, des décisions et des dialogues est en outre particulièrement fine, avec des Tortues certes moins principales, dans le récit mais toujours bien écrites et analysées. Ce sont ici Raphaël et Leonardo qui sont particulièrement scrutés, chacun tentant d'accepter ou trouver une place qui n'épouse pas forcément ses envies ou habitudes (le passage où un Raphaël souriant et apaisé en plein jardinage doit reprendre ses responsabilités en redevant sec et sombre est glaçant, comme la quête d'un but personnel d'un Leonardo lassé de l'angoisse quotidienne de l'aîné responsable).
Certes, il est quelque peu dommage que Michelangelo, Donatello et Jennika soient en retrait, mais c'est ainsi le lot d'un récit choral, car les places sont bien prises par les acteurs de la révolution du quartier mutant. L'approche de Sophie Campbell ayant dès le début acté que tous les habitants de la zone étaient acteurs de la série, cela a du sens et permet même de forts beaux moments sur l'ancien Shredder en pleine rédemption.
Cependant, si le scénario prend au cœur et interroge grandement l'esprit du lecteur, ce qui est d'autant plus fort avec une franchise de base orientée vers l'action et la bagarre, tout n'est pas idéal pour autant.
Le rythme est ainsi lent, ce qui a du sens dans le propos mais la lecture se fait quelques fois longuette. Cela fonctionne dans plusieurs moments, comme l'errance de Leonardo, mais cela donne aussi une baisse d'entrain, d'autant plus que les bagarres manquent elles aussi d'énergie, de puissance. L'affrontement de la manifestation est ainsi très léger, comme le fight club qui déçoit.
Cela rejoint également le sentiment d'une certaine « propreté » des choses et des événements, une vision très propre en soi des rebondissements, qui pourraient être traités de manière plus dure ou même quelque peu glauque, vu les thèmes abordés.
Enfin, surtout, les lecteurs et connaisseurs des Tortues Ninjas peuvent légitimer être interrogés par une telle approche, qui peut plaire et passionne l'auteur de ces lignes, même s'il peut comprendre qu'une telle proposition soit vraiment bien éloignée de l'approche et des éléments de base.
Graphiquement, Nelson Daniel et Jodi Nishijima se relayent sur les cinq épisodes de ce beau et bon tome, qui bénéficie d'un bel écrin édité par HiComics.
Les deux dessinateurs ont des styles proches, très clairs et en soi classiques. Leurs planches sont agréables, lumineuses via les couleurs agréables de Ronda Pattison. Les Tortues sont reconnaissables, les Mutanimaux sont bien croqués, et la narration est dynamique, avec des passages fluides entre les cases.
L'on peut néanmoins considérer que ce classicisme des planches est certes une force, car agréable à l'oeil, mais manque de puissance ou en tout cas d'originalité. Les bagarres sont peu nerveuses, les confrontations demanderaient plus d'intensité, et le tout participe quelque peu à cet abus de « propreté » dans les événements.
Un dessin joli et fluide, mais qui aurait pu avoir plus de coffre pour servir le récit.
En bref
Sophie Campbell poursuit sa formidable plongée dans les âmes, les esprits et les décisions du quartier mutant, dont les habitants sont tous acteurs de son récit politique et humain. Il est passionnant de voir l'avancée de son approche personnelle, et les questionnements adultes qui interviennent après que les héros révolutionnaires soient confrontés aux doutes et affres du pouvoir. Il y a quelques lenteurs et un graphisme peut-être trop propre, mais cette immense saga est en soi plus une Evolution formidable du concept des Tortues, dont il est si agréable de voir les rebondissements imprévisibles !
Positif
Une approche troublante, adulte, politique et intime des Tortues et du quartier mutant.
Une gestion fine et intelligente des personnages, notamment des rebelles confrontés au pouvoir.
De beaux et bons moments d'émotion, dans la maturité progressive de personnages attachants et complexes.
Negatif
Un propos passionnant, mais une exécution lente qui alourdit la lecture et les bagarres.
Un graphisme agréable, mais « trop propre » en soi, et surtout pour servir un récit intense.
Une approche formidable, mais en soi très éloignée des principes de base, et qui peut réellement troubler les lecteurs habituels voire de passage.
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