Fruit de la collaboration entre le scénariste Grant Morrison et le dessinateur Frank Quitely, Nou3 ne ressemble à rien de connu. Les deux artistes écossais n'en sont pas à leur premier travail commun lorsqu'ils créent la minisérie qui nous intéresse ici. Fort de leur collaboration sur l'inédit Flex Mentallo, l'étrange JLA : Terre-2 et quelques épisodes de la série New X-Men, les deux hommes s'associent à nouveaux pour conter l'histoire violente et émouvante de trois animaux transformés malgré eux en machines à tuer, et confronter pour la première fois à la liberté. Fer de lance d'une relecture postmoderniste des archétypes de l'histoire du comics-book, Grant Morrison utilise la liberté de ton accordée par Vertigo pour brocarder avec une violence hallucinante et une absence de cynisme salutaire les exactions commises par le genre humain sur nos amis les bêtes. Récit de science-fiction réaliste, Nou3 extrapole l'exploitation animalière (une des obsessions du scénariste, comme le montrait déjà Animal Man il y a presque vingt ans) en un récit court, haletant et étonnement humain. Car en donnant la parole à ses « héros » (un chien, un chat et un lapin surarmés), Morrison approche l'humanisme enfantin des dessins-animés Disney, tout en développant un discours rebelle entamé depuis les débuts de son ?uvre. Mais réduire la réussite de Nou3 à son seul scénariste reviendrait à nier l'incroyable travail d'un Frank Quitely pourtant coutumier de la « planche qui tue ». Plus que sur le futur All Star Superman, qu'il inondera de son sens inné du merveilleux, Quitely va ici déployer des trésors d'ingéniosité et de virtuosité aptes à traduire à l'image les idées les plus folles de son comparse. L'épisode muet des New X-Men, plongée hallucinante dans l'esprit du professeur Xavier, l'avait laissé entendre : Frank Quitely n'est jamais aussi bon que lorsqu'il se lâche complètement. Alternant les très gros plans démonstratifs et les pleines pages illustratifs, son dessin mêle une iconisation extrême issue de certains mangas, des effets de cadrage et de découpage hérités de meilleurs blockbusters hollywoodiens et une bonne dose de gore hardcore à la caractérisation volontiers tétanisante. Expérimentant sur les limites propres au médium (la séquence des caméras de surveillance), se jouant des perspectives et des notions de temps et d'espace (les protagonistes sont trois animaux cybernétiques, avec tout ce que ça implique en terme de perception...), l'illustration par Quitely du scénario retors de Morrison confine parfois au sublime, notamment lors de scène de massacre ou de fusillade proprement hallucinante. C'est bien là tout le paradoxe de cette surprenante minisérie (proposée par Urban Comics dans une édition collector apte à ravir les fans de dessins préparatoires et autres essais de composition), dont l'intrigue volontiers simpliste et émouvante se pare d'une forme dont la beauté naïve et l'agressivité ahurissante n'en sont que les corollaires les plus évidents. La preuve que lorsque deux artistes hors-norme s'expriment sans entrave, ils ne pourront produire qu'un chef-d'?uvre. Et c'est peu dire !