Kokor qui revisite l'oeuvre de Jonathan Swift... autant dire que c'est un double régal. Quel superbe triptyque : les dessins sont beaux, doucement colorés (même si parfois un peu sombre), il y a plein de clins d'oeil au cours de la série (certains sont expliqués en fin d'album, d'autres non), les scénarios brillants et intelligents. Dans le livre 1, Lemuel Gulliver découvre, un peu à son corps défendant, les horreurs de la marine royale anglaise du XVIIIe siècle : châtiments cruels infligés aux matelots pour des bêtises et supplice de précédent médecin de bord. Pour avoir cassé son oeuf à la coque par le gros bout, hérésie rejetée par l'Eglise, il va être jeté à la mer. C'est ainsi qu'il échoue à Llliput où des hommes minuscules, une tribu indienne, vivent en harmonie avec la nature. La fille du chef se verrait bien mariée à Lemuel malgré la différence de taille. Mais il a déjà une jeune et jolie épouse, Clémence, qui l'attend au pays avec un petit garçon que son père ne connait pas. Les lilliputiens comprennent que leur monde va disparaître par l'invasion des Blefuscu même s'ils admettent que Gulliver est un gentil Blefuscu!! Kokor cite des extraits d'un livre sur les indiens d'Amérique du Nord à plusieurs reprises. Il est évident qu'il porte beaucoup d'intérêt et de respect à leurs coutumes et leur mode de vie. Dans le livre 2, Gulliver va se retrouvé confronté à une terrible dictature sans pouvoir agir vu sa taille similaire à celle dune souris de Brobdingnag. La douce et gentille "petite" Pom, elle doit avoir 8 à 10 ans, ne comprend pas pourquoi les crabes verts sont mauvais, pourquoi on doit brûler les fraises et les tomates du potager, pourquoi elle ne doit pas sortir dehors certains jours... En résumé, pourquoi la milice dit ce qui est BON et ce qui est MAUVAIS. C'est le hasard qui va tirer Gulliver d'un mauvais sort quand tout le village de Pom part en file, encadré par les miliciens. Un oiseau de proie prend le panier où il était et qui va flotter sur la mer pour le ramener à Clémence, sa révolutionnaire pacifique, qui mène la lutte contre les exploiteurs des pauvres gens. L'oppression à Brobdingnag telle que Gulliver le raconte à Clémence est le pendant de celle que subissent les pauvres gens de Norville sous la coupe de M. de Rougement. Kokor a fait de ce 2e chapitre une histoire très sombre d'oppression et d'horreur mais où le rire et la joie d'une enfant arrivent quand même à subsister. On comprend que John Lennon est le modèle de Lemuel quand il est habillé d'un superbe costume avec 3 poupées "fanfaristes" évoquant l'album des Beatles "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band". Le livre 3 nous montre une famille Gulliver apaisée et augmentée d'une turbulente petite fille. Clémence et ses compagnons continuent leur lutte pacifique et ont obtenu des petites avancées. Gulliver continue à soigner les pauvres avec talent et gratuitement. La famille est adorée de tous. Mais M. de Rougemont persiste dans son délire de faire de Norville une ville aussi brillante que la capitale quitte à appeler l'armée à la rescousse pour massacrer les grévistes lors de leur défilé... Heureusement un défi au badminton entre Clémence et Lemuel, ayant pour enjeu le prochain voyage en famille ou non, va annuler le défilé et l'armée sans adversaires et sans consignes va se retirer. Et tout finit sur "imagine"... Pas de voyage dans ce tome, mais des allusions claires pour les lecteurs de Swift aux 2 derniers voyages chez les Houyhnhnms, chevaux intelligents qui ont les hommes pour esclaves, et dans l'île volante de Laputa. Pour les chevaux, ce sont simplement des lunettes rondes aux verres bleus et leurs échanges parlés. Pour Laputa, c'est un drôle de nuage tout blanc et immobile dont de bizarres personnages en étoile sortent pour suivre ce qui arrive à Norville. Tout est bien qui finit bien, les pauvres resteront pauvres mais heureux. Lemuel, Clémence, Jule et Lucy forme une famille aimante et unie. Au vu de ma longue critique, vous aurez pu constater que j'aime énormément cette série qui mériterait une réédition pour enchanter une nouvelle fournée de lecteurs.