''Qui sont les grands artistes de la bande-dessinée américaine ?'' Si vous posez la question à quelques connaisseurs, vous retrouverez souvent les mêmes maitres : Jack Kirby, Steve Ditko, Alex Toth et tant d'autres. Parmi-eux, un nom ressort régulièrement : Hernandez. Triplement en fait puisqu'il s'agit des frangins sud-américains Jaime, Mario et Gilbert Hernandez, trois figures de la bande-dessinée alternative américaine qui n'ont eu de cesse de nourrir leur lectorat d'un soap-opera colossal sur près de trente ans - l'œuvre populiste et punk « Love & Rocket » - sous le couvert d'un enchevêtrement de récits, de lieux et surtout de caractères hors du commun mais pourtant tellement reconnaissables. Car Jaime (et son frère Gilbert, mais c'est une autre histoire) n'a pas son pareil pour dépeindre un environnement étranger au lecteur tout en le rendant parfaitement cohérent. Cet environnement, il le puise en grande partie dans sa jeunesse de 'chicanos' arpentant les rues de Californie. C'est son apprentissage de la musique, des amours et des emmerdes qui sert de moteur aux aventures de Margarita Luisa 'Maggie' Chascarrillo et ses amis ; de l'adolescence à l'âge adulte ; de 1982 à aujourd'hui. Un apprentissage qui passe aussi par la bande-dessinée, notamment par la lecture des strips dits classiques (Charles Schultz, John Stanley) que laisse trainer sa mère et qu'il digérera dans un style économique et expressif en adéquation avec le réalisme graphique de l'époque. Parfois jugé trop simpliste (à tort), son trait véhicule une somme effarante de sentiments, permettant à l'artiste de jouer sur l'ambivalence entre une action et la violence qu'elle dégage. S'il disait avoir énormément de mal à concevoir la vieillesse de ses protagonistes passé un certain âge, Jaime imagine sans mal une Maggie usée par le temps, rondouillarde planète amoureuse et souvent inatteignable autour de laquelle gravitent pourtant de nombreux satellites. C'est le cas par exemple des prétendants : l'artiste rebelle Reno qui ne peut s'empêcher de fantasmer sur leur premier baiser de jeunesse ou le (trop) gentil Ray Dominguez, le 'Maggie de Maggie'. Se trouvent aussi les aspirants : dans le bon sens pour la jeune étudiante Angel comme dans le mauvais pour la rivale Vivan Solis qui souffre de la comparaison avec son ancienne copine ; et les oubliés comme Calvin, le jeune frère au destin tragique qui viendra rompre le cycle infernal dans lequel l'héroïne s'est plongée enfant. Inatteignable certes, mais loin d'être illisible. Si certains lecteurs peuvent avoir peur à raison de se lancer tête la première dans les aventures de Maggie, l'album « Bye-bye Maggie » est pourtant loin d'être hermétique aux nouveaux arrivants. Car inatteignable, Maggie l'est justement parce qu'en dénonçant la faute de son père, elle s'empêche à jamais d'être heureuse. Suivant ce constat, l'artiste construit son récit à grand renfort de 'flashback', des 'instants de vie' qui viennent enrichir la lecture des admirateurs de « Love & Rocket » mais qui permettent surtout au nouveau lecteur d'avoir le nécessaire d'information d'un drame simple et complexe à la fois, humain en somme. Si on peut remettre en question la légitimité du titre français (en américain « The Love Bugglers » ou « Les Saboteurs de l'Amour »), « Bye-bye Maggie » est bel est bien un doux au-revoir proféré par l'auteur à son personnage. Une sorte de 'Happy Ending' plus ou moins fantasmé par Maggie (le lecteur ne saura jamais si les dernières pages ne relèvent pas du rêve de la part de l'héroïne tellement la césure nette en plein milieu du dernier chapitre contraste avec les précédents), offert par Jamie Hernandez à une création qu'il considère comme une part de lui-même tout en se laissant les latitudes pour revenir la/se visiter. On l'espère. Autant pour l’auteur que pour nous lecteur.